1947 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 90 – 5ème année – bimensuel (B.I.) le n° 4 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 90
16 mai 1947
Cliquer sur le format de contenu désiré
Le dernier vote (du vendredi 9 mai), par lequel la direction cégétiste stalinienne a réussi à arrêter la grève générale Renault, consacre-t-il la victoire de cette direction ?
Ce n'est pas par un vote que la grève générale avait éclaté, douze jours auparavant ; c'est un secteur de l'usine comprenant environ 1.500 ouvriers qui, débarrassé des saboteurs "syndicaux" officiels par une lutte intérieure qui durait depuis de longs mois, a entraîné dans l'action toute l'usine.
C'est par une lutte ouverte avec la direction syndicale dans le reste de l'usine que les grévistes du secteur Collas ont conquis l'adhésion des travailleurs de chez Renault. Quelle est l'histoire de cette lutte ? La voici brièvement.
Les 1.500 ouvriers du secteur Collas, en grève le vendredi 25 avril pour une revendication intéressant toute la classe ouvrière, convoquent un meeting général le lundi 28 avril, à la suite duquel, en parcourant les différents ateliers des usines, ils réussissent à faire débrayer un peu partout. Mais c'est seulement environ 12.000 ouvriers des différents départements qui restent en grève. Dans le reste de l'usine (qui compte environ 30.000 personnes), les responsables cégétistes font reprendre le travail aux ouvriers qui, malgré leur mécontentement, sont intimidés par la pression de ces jaunes.
Mais le lendemain mardi, la direction syndicale se sent débordée : pour essayer de reprendre tout le mouvement en mains et de le contrôler, elle utilise une première "manœuvre" en appelant elle-même à la grève générale... d'une heure, pour soi-disant appuyer ses propres négociations avec la direction. Mais une fois en grève, les travailleurs de toute l'usine y restent, refusent de limiter le mouvement à une heure et suivent le secteur Collas et dans la grève et dans ses revendications.
Mais c'était là tout ce que les travailleurs pouvaient faire. Privés, dans presque tous les départements, d'éléments éduqués capables de tenir tête localement à la pression des bureaucrates petits et grands aux ordres des bonzes syndicaux, ils ne peuvent aller de l'avant. Ils sont en grève contre la volonté des dirigeants cégétistes, et c'est à ces derniers que revient, dans beaucoup de secteurs, la direction d'un mouvement dont ils ne veulent pas. C'est là que commencent les "victoires" de la C.G.T.
Sa première victoire ? Mercredi, dans l'après-midi, ils lancent des groupes d'assaut dans l'usine pour intimider les ouvriers, balayer les piquets de grève, disperser l'organisation propre des grévistes qui s'apprêtaient pour le lendemain, 1er mai. Il leur fallait à tout prix empêcher que les autres travailleurs sachent que la grève Renault et ses buts avaient surgi en dehors des ;dirigeants syndicaux; et malgré leur opposition.
Vis-à-vis du reste de la classe ouvrière, les chefs cégétistes s'efforcent, en effet, de faire croire que ce sont eux qui conduisent le mouvement, que ce sont eux qui revendiquent les 10 francs, etc. Ils réussissent à empêcher les grévistes de manifester le 1er Mai ; mais cette première "victoire" est la première grande défaite de la direction cégétiste dans le secteur le plus important de la classe ouvrière, les usines Renault. Il ne s'agit plus cette fois-ci d'actes de violence contre des vendeurs de journaux qu'on accuse de n'importe quoi ; les travailleurs les ont vus à l'œuvre contre eux-mêmes.
Ils essayent ensuite, le vendredi 2 mai, de consulter "démocratiquement" les ouvriers pour savoir s'ils veulent reprendre le travail avec 3 francs de prime (même pas encore acquise), alors que toute l'usine s'était mise en grève pour les 10 francs sur le taux de base.
Or, le vote du vendredi 2 mai consacre le rapport de forces tel qu'il était apparu dans l'action gréviste du lundi, quand environ 12.000 ouvriers étaient en grève avant l'ordre officiel de la C.G.T. (le vote donne plus de 11.000 pour la grève, 8.000 contre).
La grève entre ainsi dans sa deuxième semaine. Son sort se joue maintenant en dehors de l'usine. Les revendications des grévistes ne peuvent aboutir que par une lutte de l'ensemble de la classe ouvrière, comme en juin 1936, et il faut à tout prix obtenir l'adhésion des autres usines de la région parisienne.
Là encore les staliniens recourent aux mêmes procédés, empêchent les délégués des grévistes de diffuser leur tract devant Citroën, etc. La grève Renault, malgré les mouvements de grève qui éclatent en province et dans certaines usines de Paris, ne réussit pas à entraîner le reste des travailleurs. C'est là la deuxième "victoire" des dirigeants cégétistes, mais avec les mêmes conséquences pour leur avenir. Dans de nombreuses usines (touchées ou non par les grévistes) où les ouvriers voulaient se mettre en grève, ils ont dû recourir à leur égard à la tromperie et à l'intimidation.
Ainsi, le vote du vendredi 9 mai chez Renault, qui donne une majorité pour la reprise du travail sur la base de 3 francs de prime, ne signifie nullement une reprise de confiance dans les Staliniens. Mais il est dû au fait que les ouvriers de chez Renault se sont vus isolés, dans la lutte, du reste de la classe ouvrière.
Malgré son échec, quant aux revendications ouvrières anticapitalistes qu'elle voulait faire prévaloir, la grève Renault est le commencement de la fin pour la direction officielle. C'est dans le bastion le plus important de la classe ouvrière que les dirigeants staliniens sont apparus aux travailleurs pour ce qu'ils sont : des éléments profondément antiprolétariens, obligés de se maintenir par la corruption, par l'intimidation, et par la brutalité ouverte, quand les travailleurs n'ont pas cédé aux deux premières. Un enseignement qui ne pouvait être acquis que dans la pratique, dans l'action, est maintenant assimilé par les travailleurs de chez Renault. Ils ont appris que, pour briser la politique du patronat, de famine pour les masses, il faut d'abord surmonter, par le regroupement et l'organisation, le sabotage stalinien au sein du mouvement ouvrier.
Anticapitalisme et réformisme
Les dirigeants de la C.G.T. ont été mis devant le fait de la grève générale des usines Renault pour une augmentation de salaire de 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital.
Après avoir essayé d'arrêter la grève par des méthodes d'intimidation et de brutalité, les dirigeants de la Fédération des Métaux ont finalement dû reprendre à leur compte, pour tous les métallurgistes, la revendication de 10 francs d'augmentation des grévistes, mais en la présentant sous forme de prime à la production. Ils ont ainsi soutenu le mouvement "comme la corde soutient le pendu". Car, sous le couvert de "leur" revendication, ils ont fait pression sur les ouvriers des autres usines pour qu'ils ne se mettent pas en grève et attendent le résultat de "leurs" négociations. Pendant ce temps-là, chez Renault même, ils ont manœuvré pour la reprise du travail sur la base d'un compromis de 3 francs de prime à la production.
Pourquoi les dirigeants cégétistes ont-ils opposé à la revendication d'augmentation sur le taux de base, telle que l'avaient formulée les ouvriers de Renault, la revendication de la prime au rendement ?
On sait que, pour que la prime à la production atteigne son but au point de vue patronal, il faut qu'elle corresponde à une petite rémunération au-dessus du salaire de base, pour un effort dépassant de beaucoup la production normale ; plus l'ouvrier travaille, moins il est payé proportionnellement à son effort. Il n'est plus possible de faire croire aux ouvriers que leur salaire est lié à la productivité. Chez Renault, la production a augmenté de 150%. Dans la sidérurgie, avec 60% de hauts-fourneaux en marche, la production est au même niveau qu'en 1938. La surexploitation a atteint son maximum, il n'est plus possible d'augmenter les salaires par l'augmentation du rendement, car il y a à cela les limites mêmes de la capacité des machines et de l'effort physique des hommes. Que les ouvriers n'arrivent même pas à tenir la cadence qui leur est actuellement imposée, cela n'est-il pas prouvé par la revendication cégétiste du paiement des temps coulés au taux de base ?
Mais s'il n'est plus possible d'augmenter le salaire par l'augmentation du rendement, la revendication cégétiste de la prime n'est donc pas autre chose qu'une revendication camouflée d'augmentation du salaire, qui ne peut être obtenue autrement que par la pression ouvrière sur le patronat et ses profits. C'est la pression ouvrière de la grève, même trahie, qui a obligé Lefaucheux à accorder les 3 francs chez Renault, alors que, pendant des mois, les démarches de la C.G.T. s'étaient heurtées au refus le plus absolu. Et c'est l'agitation et les grèves ouvrières, suite à la grève Renault, qui ont abouti, dans différentes usines, aux augmentations dont se vantent les dirigeants cégétistes (Panhard : 6 à 10%, Bréguet : 10% + 4 francs, Nevé : 10 frs. + prime progressive, Bahier : 3 frs. + prime, Latil : 4 frs., etc.).
En réalité donc, en camouflant les demandes d'augmentation de salaire sous le nom de "prime à la production", les dirigeants cégétistes voulaient, non seulement réaliser un compromis en faveur du pa-tronat (en offrant aux ouvriers une petite satisfaction à l'aide de laquelle ils regagneraient leur confiance) mais enlever aussi aux revendications ouvrières tout caractère de lutte anticapitaliste ouverte. Leur "revendication" n'est qu'un piège parmi ceux qu'ils ont utilisés pour saboter la lutte ouvrière jusqu'à présent (produire d'abord, blocage des salaires pour faire baisser les prix, etc.).
En se contenant de quelque dérisoire "prime à la production", les ouvriers se retrouveront à bref délai dans la même situation qu'aujourd'hui, du fait même qu'il n'y a, dans ce genre de rémunération, aucune garantie pour l'ouvrier, qu'elle est liée à la notion de rendement et à l'appréciation patronale (révision des temps, etc.).
Pourquoi le patronat s'oppose-t-il à la revendication d'un relèvement des salaires sur le taux de base, selon le minimum vital calculé sur l'indice des prix ? Parce qu'il ne veut pas se lier les mains vis-à-vis des ouvriers, parce qu'il veut garder l'initiative dans la question des salaires, spéculer sur les prix et garder ainsi la possibilité de toujours diminuer le niveau de vie des ouvriers au bénéfice des profits capitalistes, comme il l'a fait jusqu'à maintenant.
Les capitalistes, qui ne peuvent pas admettre que les revendications des ouvriers s'attaquent à leurs profits, prétendent que la hausse des salaires entraîne l'inflation. Mais les grévistes de chez Renault ont répondu à cet argument. Ils ont trouvé dans le bulletin même de la direction patronale l'aveu d'une augmentation de 30% versée aux millionnaires de la sidérurgie, sans qu'il y ait eu augmentation des salaires. Et alors que la part des concessionnaires pour une "Juva" est passée de 17.022 francs en janvier à 20.005 fr. en mars, le coût de la main-d'œuvre directe diminuait de 13.950 à 12.985 francs.
L'inflation gouvernementale suit son cours : le bilan publié par les journaux, avant quelque augmentation de salaire que ce soit, montre 17 milliards de billets nouveaux lancés par l'Etat ; dans ces conditions, qu'est-ce que la "revendication" cégétiste d'une "prime" de 10 fr. dans l'avenir, sinon une duperie ?
"Nous voulons la hausse des salaires par rapport aux profits des capitalistes", disait un tract du Comité de Grève. Et par ailleurs : "...jusqu'à présent, la politique patronale a toujours été de nous faire courir après les prix à l'aide de petites satisfactions partielles, pour calmer notre mécontentement. Notre revendication actuelle, qui est celle du minimum vital, c'est-à-dire pour nous limiter au chiffre de la C.G.T. de 7.000 frs. par mois, 10 frs. d'augmentation sur le taux de base pour 40 heures de travail, doit mettre fin, une fois pour toutes, à cet état de choses. Car l'augmentation que nous réclamons doit être garantie par son adaptation constante aux indices des prix, en fonction de ce qu'il nous faut acheter pour vivre sans mettre en danger notre santé. Nous voulons L'ECHELLE MOBILE DES SALAIRES".
Les ouvriers de chez Renault, qui avaient demandé l'augmentation sur le taux de base comme acompte sur le minimum vital, n'exprimaient donc pas une simple demande d'augmentation de salaire ; leur revendication tendait à mettre un frein aux spéculations des capitalistes et de leur gouvernement sur le dos des travailleurs ; elle engageait la lutte ouvrière dans le sens d'un contrôle des ouvriers sur leurs exploiteurs. Elle montrait une issue aux efforts des travailleurs pour la revalorisation de leur pouvoir d'achat.
Jusqu'à la grève Renault, les ministres et chefs staliniens justifiaient leur collaboration gouvernementale par la lutte contre la réaction : il valait mieux collaborer avec les clérico-réactionnaires M.R.P. pour éviter De Gaulle.
Mais leur but était, en réalité, de maintenir l'ordre, eux-mêmes, en tant que serviteurs de la bourgeoisie pour bénéficier des avantages ministériels. C'est pourquoi, ils faisaient au Gouvernement la politique du P.R.L.
Il a suffi que la grève Renault menace de se transformer en grève générale pour que les chefs staliniens découvrent qu'on ne lutte pas contre la réaction en faisant une politique réactionnaire : "Rien ne serait plus dangereux que de glisser, sous le couvert de lutte contre les factieux, à la politique réactionnaire qu'ils préconisent" (Thorez). Ils ont abandonné le Gouvernement pour se "désolidariser" de sa politique réactionnaire.
Mais à peine les chefs staliniens ont-ils quelque peu réussi à maîtriser le mouvement naissant dans le pays que déjà leur collaboration avec le Gouvernement, contre les grévistes, est aussi étroite que quand ils y étaient. C'est ainsi que Daniel Mayer faisait publier le lundi 12 mai le texte suivant : "Si 1.200 ouvriers ne travaillent pas, 1.000 d'entre eux sont dans l'impossibilité de le faire étant donné que 200 ouvriers, déterminés à voir la grève se poursuivre, s'opposent à la fourniture de la force motrice". Le lendemain, mardi, le tract local de la C.G.T., s'adressant aux ouvriers des usines Renault, reprenait mot pour mot ces mensonges. Donc, si "Socialistes" et "Communistes" se querellent dans des articles de journaux pour se rejeter mutuellement les responsabilités, ils collaborent étroitement contre les grévistes. Ils sont tous contre la grève qui, seule, a ouvert de nouvelles perspectives pour la classe ouvrière. Si les "Communistes" sont passés dans "l'opposition", ce n'est que pour mieux briser la lutte autonome des travailleurs. Mais cette manœuvre, loin d'être une surprise pour les marxistes révolutionnaires, a été expliquée longtemps à l'avance par La Lutte de Classes.
"Le cabinet chinois a cédé sur l'un des trois points contenus dans l'ultimatum de grève générale adressé par la Fédération des Ouvriers des Entreprises industrielles et des Services publics de Changhaï, qui groupe huit cent mille membres. La Commission des prix, présidée par le premier ministre a consenti à procéder au rajustement des prix et des salaires, ces derniers étant bloqués depuis janvier dernier." (Les journaux).
Des Etats-Unis, où des grèves générales déferlent les unes après les autres, au Japon, où le mouvement ouvrier organisé est la principale force du pays qui tienne tête à l'occupation américaine, de la Ruhr prolétarienne à la Corée "arriérée", le mouvement ouvrier forme une chaîne dans laquelle ne manque pas un seul anneau. A Changhaï, 800.000 ouvriers menacent de se mettre en grève ; en Espagne, il y a grève générale à Bilbao, en France, la grève générale marque des points et jusque dans la Suisse conservatrice et "privilégiée", les "conflits sociaux" se précisent.
Partout, sans exception, la même politique de la bourgeoisie : faire retomber les charges de sa politique de guerre sur le dos des ouvriers, par l'inflation, en bloquant les salaires.
Ce mouvement universel de grèves, c'est la réaction des masses exploitées de tous les pays contre les conséquences de la guerre. Et, de ce fait, ces grèves sont en même temps une lutte contre la guerre que les capitalistes préparent. La 3e guerre mondiale, que les stipendiés de la bourgeoisie nous présentent comme une fatalité pour ôter aux masses travailleuses tout esprit de résistance, voit se dresser devant elle la lutte ouvrière.
Ainsi, d'un côté, les Truman, les Churchill, les Staline avec leur bombe atomique et leur politique de rapine – d'un autre côté, le mouvement ouvrier. Qui l'emportera ? C'est désormais une course de vitesse entre les forces de guerre : la bourgeoisie mondiale – et les forces de paix, le mouvement ouvrier mondial.
Si tous les éléments, qui consciemment s'opposent ou veulent s'opposer à la guerre, rassemblent toute leur énergie pour la mettre au service de la révolution mondiale, la paix triomphera.
La grève Renault a brusquement fait surgir au grand jour et cristallisé le mécontentement qui couve depuis des années au sein de la classe ouvrière. En montrant leur volonté de ne pas se laisser définitivement réduire à la condition de parias, les travailleurs ont obligé tout le monde, dans toutes les sphères de la société, à prendre ouvertement position.
Dans l'usine même, la démarcation s'est faite non pas en fonction de l'appartenance "politique" des travailleurs, non pas en fonction de leurs conceptions philosophiques, mais uniquement sur la base de la défense de la situation économique des travailleurs. Ce qui a frappé les ouvriers dès les premières heures de la grève, c'est l'unité d'action réalisée par le Comité de Grève. "Moi, disait l'un d'eux, je suis chrétien ; j'ai un copain qui est secrétaire de la J.O.C. Eh bien ! dans son coin, c'est lui qui mène la bagarre. Personnellement, je ne suis pas syndiqué à la C.F.T.C., pourtant, j'ai bien lancé deux mille gars dans la grève. Mais, dans mon coin, c'est un anarchiste qui mène le combat."
– L'essentiel, lui répond un autre (syndiqué à la C.G.T., lui) c'est que nous soyons tous d'accord sur les moyens de défendre notre beefsteak.
– Nous avons sans doute des opinions différentes, mais nous nous connaissons entre nous, et nous savons bien reconnaître ceux qui sont les plus gonflés, les plus capables de nous défendre. Et c'est ceux-là que nous désignons, quelles que soient leurs opinions.
– Eh oui, voilà le vrai front unique des ouvriers.
Au meeting que les bonzes syndicaux avaient organisé le mercredi 30 avril, dans l'île Seguin, la presque totalité des ouvriers étaient présents.
Hénaff, entouré de sa garde du corps, déversait derrière son micro les calomnies habituelles sur le Comité de grève. Mais, lorsqu'un membre du Comité de grève s'approcha pour prendre la parole, les matraqueurs de la garde du corps se ruèrent comme des brutes forcenées sur les grévistes. En approchant Hénaff, on entendit qu'il disait : "Mais tire, tire donc, qu'est-ce que t'attends pour tirer ?..."
Les ouvriers, indignés, se dispersèrent et le reste du discours fut prononcé devant 200 à 300 présents, la claque qui applaudissait aux ordres.
A un contre-meeting du comité de grève, les mêmes brutes, qui, pour la plupart, ne travaillent pas chez Renault, firent le même travail de matraquage des ouvriers. Il s'en fallut de peu qu'un pavé ne soit lancé dans la voiture radio du comité de grève. A 20, ils matraquèrent un jeune vendeur de La Vérité.
Le soir, à 300, barres de fer à la main, ils circulèrent dans l'usine pour expulser les piquets de grève. Mais ils n'osèrent pas se présenter au secteur Collas.
N'étant pas parvenus à briser la grève avec ces méthodes, les Staliniens, le lendemain, s'en déclaraient "démocratiquement" partisans. Mais ils se gardèrent de remplacer les piquets de grève qu'ils avaient expulsés, ouvrant ainsi l'usine à Lefaucheux, qui pouvait se vanter ensuite, dans la presse, d'avoir fait évacuer "sur ordre de la Direction".
Les bonzes cégétistes ont tout mis en œuvre pour isoler les grévistes, pour empêcher la solidarité ouvrière de se manifester à leur égard. Dans toutes les usines, ils ont employé toutes leurs forces pour empêcher un mouvement général de se déclencher.
Un ouvrier de LMT, écœuré, disait à ses camarades : "Nous sommes des jaunes, ce que nous méritons, ce sont des coups de pied..."
Et dans cette famille ouvrière où le père et le fils travaillent tous deux chez Citroën, la discussion est chaude, tous les soirs, au sujet de la grève. Le père, fatigué, craint les grèves, car ce sont des aventures. La mère a déjà fait l'expérience de trois longues grèves, avec le cortège de misères qu'elles lui ont valu. Elle calcule, suppute ce qu'une nouvelle grève lui vaudrait de souffrances et de privations accrues. Elle est irréductible. Mais tous les soirs, le mari et le fils rentrent à la maison, un peu plus partisans de la lutte : "Que veux-tu, il faut bien y venir, dit le père. Nous ne pouvons en finir qu'avec un mouvement général. Autant le faire maintenant". Et c'est le fils qui a le mot de la fin : "Comprends, maman, on ne peut tout de même pas laisser ces pauvres gars de chez Renault se battre seuls...".
Quelles que soient les trahisons, les déceptions subies, la voix de la solidarité ouvrière n'est pas prête à s'éteindre dans le cœur des travailleurs, conscients de la nécessité d'une lutte organisée et unifiée.
La politique des social-patriotes consiste à vouloir démontrer à la bourgeoisie leur capacité de gouverner, de maintenir "l'ordre", de "stabiliser" la situation. C'est en raison de cette politique que les social-patriotes au gouvernement se montrent impuissants vis-à-vis de la bourgeoisie et se retournent avec toute leur vigueur contre la classe ouvrière, en accusant les mouvements revendicatifs et grévistes de "faire le jeu de la réaction".
Mais en quoi les grèves peuvent-elles faire le jeu de la réaction.
Ce sont les social-patriotes, qui, en s'efforçant d'endiguer les grèves qui surgissent inévitablement de la situation économique, les condamnent à la dispersion et à l'isolement et les font ainsi apparaître comme des mouvements particuliers à telle ou telle catégorie professionnelle, comme jetant le trouble dans la vie économique en n'apportant aucune issue, comme fauteurs d'" anarchie".
Les social-patriotes apportent ainsi eux-mêmes de l'eau au moulin du fascisme en présentant les mouvements ouvriers contre l'anarchie capitaliste, comme la cause de cette anarchie capitaliste.
Dans ces conditions, il ne suffit pas d'alerter les travailleurs contre la réaction et un nouveau 6 février, il faut avant tout trouver le moyen d'empêcher les social-patriotes d'étrangler le mouvement ouvrier, seule véritable force contre le fascisme.
Si les social-patriotes font le jeu de la réaction et du fascisme par leurs tentatives impuissantes d'endiguer les grèves, la grève générale serait au contraire, en même temps qu'un coup mortel porté au fascisme, le moyen de briser leur politique de collaboration de classe. Elle les obligerait, tout au moins temporairement, de se mettre du côté de la classe ouvrière. Certes, ils ne le feraient que pour ne pas se couper des masses et pour endiguer leur mouvement, comme en 1936 (Thorez : "Il faut savoir finir une grève"). Mais dans ce nouveau combat, la classe ouvrière entrera avec une autre expérience que celle de 1936 et le renforcement des tendances révolutionnaires empêchera les dirigeants traîtres d'arriver à leur fin.
Ce n'est donc pas en faisant défiler les ouvriers, un dimanche, de la Nation à la République, sous le mot d'ordre "produire", que les chefs socialpatriotes feront reculer la réaction et le fascisme.
La tâche principale de l'avant-garde révolutionnaire dans chaque mouvement gréviste de quelque importance (comme dans le cas des fonctionnaires, des imprimeurs, etc.) est avant tout de s'efforcer d'élargir le mouvement pour lui donner l'appui de toute la classe ouvrière, de le transformer en grève générale.
Dans leur propagande et leur agitation, les révolutionnaires doivent faire comprendre aux ouvriers qu'il n'y a aucune autre issue que de se préparer à livrer le combat décisif.
[extrait de Lutte de Classes, 14 février 46]
"Unité avec les républicains" (les Herriot et les Francisque Gay), crient aujourd'hui P.C.F. et P.S. pour continuer leur politique pourrie de collaboration avec les Partis bourgeois.
"Unité dans les quartiers et les usines", répondront les travailleurs, unité pour défendre notre pain et notre droit à la vie, unité pour organiser la résistance au patronat. Qui sera assez fort pour nous faire courber l'échine, si nous serrons nos rangs fraternellement à la base, sans distinction de tendances politiques, de croyance et de nationalité ? C'est dans CETTE unité que réside notre force. C'est CETTE vérité que ressentait un ouvrier qui disait : "Dans le temps il y avait des grèves, mais aujourd'hui on est amorphe ; ce n'est que par l'action directe qu'on peut faire changer un gouvernement de politique."
Et c'est pourquoi 150 ouvriers, conscients et combatifs, dans quinze grandes usines, peuvent faire infiniment plus pour la classe ouvrière, que 150 députés, réformistes traîtres, dans une Assemblée croupion qui, pour justifier leur existence, n"'arrachent" quelques concessions aux capitalistes qu'au moment où la classe ouvrière elle-même est en branle et les a déjà gagnées par son action directe.
[extrait de Lutte de Classes, 14 mai 46]
La grève Renault a soulevé une grande vague d'espoir parmi toutes les couches moyennes de la population.
– Il était temps, entendait-on un peu partout.
– ça ne peut plus durer comme cela, disent les petits commerçants. Ils affament les ouvriers, et nous, ILS veulent nous empêcher de vivre. Avec toutes leurs taxes et leurs impôts, lis nous volent littéralement tout notre gain...
Mais si certains pensaient : "Il était temps, sans quoi ILS auraient réussi à nous faire mourir de faim", d'autres ajoutaient : "sans quoi on aurait eu la révolution".
Dans certaines boutiques, on pouvait entendre des réflexions de ce genre : "C'est la révolution que Thorez et sa bande veulent nous imposer". Et, à propos du problème de la viande : "Le gouvernement est d'accord avec les grossistes ; il protège les trafiquants. C'est pour cela que la viande est si chère. Il faut que les ouvriers réclament du ravitaillement".
Ainsi, aux yeux de larges couches de la population, l'Etat, avec ses tracasseries, son appareil bureaucratique étouffant, l'Etat voleur et affameur, est incarné par les Staliniens. Si "ça n'a jamais été si mal", c'est la faute au "communisme" que ces derniers prétendent représenter. Et toutes les petites gens, exaspérées, tournent leur haine du régime et de la pourriture contre les "Thorez et sa bande, qui s'engraissent sur le dos du peuple".
Mais, actuellement, cette haine n'englobe pas les ouvriers. Ils voient que ceux-ci sont victimes de ce régime au même titre qu'eux. Et c'est encore dans la lutte des travailleurs organisés qu'ils mettent leur espoir. Mais que, demain, cet espoir soit déçu, et ils se tourneront vers "l'homme providentiel" qui leur présentera démagogiquement une issue pour les sauver de la ruine.
Mais le sort des petites gens est lié à celui des ouvriers. Dans la mesure où les travailleurs secoueront le joug de leurs exploiteurs, ils gagneront définitivement à leur cause toutes les couches moyennes, à qui une perspective réelle sera ainsi offerte.
Cest pourquoi le meilleur rempart contre le fascisme, la meilleure défense contre De Gaulle et ses satellites, réside dans la lutte organisée de la classe ouvrière.
LUCIENNE
On a dit aux travailleurs : "Pour que la France se relève, il faut produire !" Ils ont produit. Ils ont produit des autos, des tissus, des céréales, etc... mais avant tout pour l'exportation. Car on leur a expliqué que relever la France signifiait enrichir l'Etat en devises étrangères.
Mais ce qu'on ne leur a pas dit, et qu'ils comprennent chaque jour davantage, c'est que l'Etat est pourri du premier au dernier échelon, que le fruit de leur travail sert à faire vivre grassement une poignée de capitalistes affameurs et leur bande de politiciens véreux, que le relèvement de l'économie française passe après les intérêts privés de ces quelques privilégiés.
La meilleure preuve en est l'exemple de la Régie Renault qui continue à fabriquer des autos à perte pour l'exportation, alors qu'en 1946 une demande de 20.000 tracteurs était faite par les paysans français, qui ont reçu, en tout et pour tout, 1.000 tracteurs sur les 2.000 fabriqués en France... Voilà donc à quoi set de produire : les travailleurs qui ont sacrifié leur sueur et leur sang pour améliorer le sort de leurs semblables ont tout juste réussi à créer de nouvelles richesses dont la bourgeoisie est seule à jouir. Ils ont produit mais ils continuent à être mal nourris, mal vêtus, mal logés, pendant que les capitalistes continuent à acquérir des devises sur leur dos. C'est cela le relèvement de l'économie nationale.
DAN
– Ah, nous savons que la vie est difficile pour tout le monde. Tenez, moi qui suis député de province, je dois vivre avec 42.000 francs par moi. Eh bien, quand j'ai payé ma secrétaire, mes frais de voiture, mon restaurant, mon hôtel, il me reste 20.000 francs. Et que voulez vous avec 20.000 francs, je dois faire vivre ma famille...
– Eh bien, imaginez que vous soyez ouvrier d'usine. Il vous faudrait, avec 7.800 francs par mois nourrir, vêtir et entretenir votre femme, vos enfants et vous-même, payer-votre loyer et vos impôts, et je vous prie de croire que le percepteur ne nous oublie pas.
Le député lève les bras au ciel, se demandant ce que l'on peut faire avec une telle somme.
En sortant, un ouvrier conclut : "En somme, il a 42.000 francs de salaire de base, plus le boni sous forme de pots-de-vin et indemnités de toutes sortes. Mais, contrairement à nous, son boni, à lui, doit être largement supérieur à son salaire de base".
Camarades,
Le manque de ressources financières ne nous permet pas de faire paraître le journal dans les mêmes conditions que jusqu'à maintenant.
En attendant la reconstitution d'un fond de roulement, nous éditerons La Lutte de Classes sous forme de bulletin.
Nous faisons appel à tous nos camarades, à tous nos lecteurs, pour un soutien rapide et efficace.
La Rédaction