1946

L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES (Marx)
Nº 9 – Bulletin inter-usines de l'opposition syndicale
BULLETIN INTERIEUR – Prix : 2 frs.


La Voix des Travailleurs

Barta

18 mars 1946


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A BAS LA GUERRE

Un an après la fin de la guerre en Europe, six mois après la cessation des hostilités avec le Japon, la situation économique ne s'est pas améliorée. Les échanges internationaux connaissent autant d'entraves et notamment les bateaux "manquent" tout comme au moment où on les utilisait pour transporter des soldats et du matériel de guerre, parce qu'en fait on n'a pas cessé et non ne cessera pas de transporter des soldats et du matériel de guerre. Un important tonnage sera coulé pour des expériences "atomiques", d'autres destructions sont opérées en vertu de la "loi de la concurrence" (bourgeoise). Et c'est pourquoi, dans la plupart des pays du monde, sévit la famine ou plane sa menace.

L'anarchie complète des rapports internationaux, provoquée par les capitalistes qui préparent contre l'U.R.S.S. le troisième acte de la guerre impérialiste commencée en 1914, domine entièrement la situation de l'économie française.

Il y a à peine un mois, on avait reconnu qu'une nation appauvrie, en proie à la misère, devait cesser d'entretenir une armée parasitaire et de fabriquer des instruments de guerre doublement ruineux (d'un point de vue financier et industriel). On avait à grand bruit proclamé qu'il fallait un renversement de la vapeur. Car l'inflation causée par le financement de l'économie de guerre étend la misère à des couches de plus en plus larges de la population, en même temps qu'elle provoque une spéculation effrénée et enrichit les requins de la bourse et du marché noir.

Il y a à peine un mois on avait à grand bruit proclamé qu'il était temps, si l'on voulait manger, de réduire considérablement les dépenses improductives et ruineuses. On avait stigmatisé le corps parasitaire des officiers, on avait proclamé la nécessité de réduire le nombre des soldats qui pourraient fournir des bras à l'industrie.

Mais que reste-t-il aujourd'hui de tout ce tapage ? Les capitalistes maintiennent l'économie dirigée vers la guerre, ce qui continue à provoquer l'inflation (13 milliards de plus pour le mois de mars). On continue à dépenser autant et bientôt davantage que pendant la guerre. D'une façon ou d'une autre, tout le monde reconnait les causes du mal. A tel ou tel propos, chacun s'élève contre la police pourrie, la bureaucratie gangrenée (des scandales révèlent la corruption des administrateurs), l'appareil militaire coûteux et antipopulaire. Mais il ne se trouve personne pour mettre en accord les paroles et les actes. De tout le tapage, il ne reste que le voyage de Léon Blum à Washington pour vendre le pays au plus offrant. Car tout ce tapage n'était que la démagogie du vieil appareil de politiciens qui prospèrent de l'exploitation des ouvriers par les patrons.

Les capitalistes des pays occidentaux préparent la troisième guerre mondiale. Churchill qui a donné le signal de l'attaque "idéologique" contre l'U.R.S.S. (pour préparer le conflit armé) a cependant reçu la réponse qui convenait : à New-York, les travailleurs ont manifesté dans la rue avec des pancartes sur lesquelles on lisait : "Churchill veut votre fils !", "Pas de troisième guerre mondiale !"

Les peuples ne veulent pas de nouvelle guerre mondiale. Si nos dirigeants ne veulent pas le comprendre et continuent, malgré leurs promesses, à nous écraser toujours davantage pour des buts de rapine, alors il faut manifester comme les travailleurs de New-York : "A BAS LA GUERRE !", "A BAS LE BUDGET D'ARMEMENT !", "RETOUR A LA PRODUCTION DE PAIX !"

C'est seulement si nous leur montrons que nous ne sommes pas disposés à nous laisser écraser que nous pourrons "renverser la vapeur".

MATHIEU


LES TRAVAILLEURS DE CITRŒN-CLICHY NOUS INDIQUENT LA VOIE POUR OBTENIR L'AMELIORATION DE NOS CANTINES

Jeudi 17 mars, à 3 heures, les chauffeurs des forges se sont mis en grève pour obtenir le beefsteak déjà obtenu par leurs camarades forgerons, étant donné que leur travail est aussi pénible. Ils demandaient également une amélioration de la nourriture servie à la cantine. Pour répondre à l'appel de solidarité des chauffeurs, vendredi matin, un tract de l'opposition syndicale était diffusé, relatant les faits que l'ensemble des ouvriers ignoraient.

A midi, dans tous les réfectoires, on parlait de faire grève. Au Bronze-Alu, le collecteur syndical est d'accord pour la grève ainsi que le délégué R.M.O. "Lundi, c'est nous qui nous mettons en grève", disent les ouvriers des fonderies. Les chefs d'ateliers, à toutes les questions des ouvriers, répondent : "Mais non, il n'y a rien". Les responsables syndicaux, qui depuis des mois cherchent à endiguer les conflits pour mieux saboter la grève, se placent à la tête de la délégation envoyée au Ministère vendredi.

Les forgerons sont décidés à défendre leurs revendications par la voie de l'action. La direction syndicale, elle, s'engage sur le terrain de la parlotte : "Il faut reprendre le travail, une usine comme Citroën ne doit pas être l'étincelle qui mettra le feu aux poudres. Camarades des forges, nous comprenons votre réaction devant un patron de combat, mais il faut travailler pour ne pas faire le jeu de ce trust".

Cependant, le conflit prend de l'extension : les fondeurs qui travaillent aussi dans des conditions très pénibles se sont joints au mouvement. La direction s'inquiète, et les bonzes syndicaux, effrayés, donnent la consigne dès le lundi matin aux "responsables" de stopper le mouvement : "Si les grévistes viennent vous faire débrayer, il ne faut pas les écouter, ce sont des réactionnaires". Un ouvrier demande au porteur de cette consigne : "Que faut-il faire ?" -"Rien, il faut attendre."

Vers 10 heures une distribution de tracts est faite par les responsables syndicaux. Alors que depuis six mois ils se taisaient, sous la pression des ouvriers, ils reprennent les arguments de l'Opposition syndicale : "La nourriture est dégoûtante, les conditions de travail difficiles..." Ils disent mettre sur pied un projet d'entrevue avec la direction. Ils invitent les ouvriers à venir assister à des assemblées séparées, par profession, craignant qu'une réunion générale ne mette "l'étincelle en présence de la poudre." Ils savent bien que la force des ouvriers est dans leur unité dans le combat. Néanmoins les travailleurs sont venus nombreux pour se défendre. "Va-t-on passer à l'action ?" demandent-ils.

Beaumont prend la parole : "La direction des usines Citroën, M. Boulanger, est un patron de combat. Depuis plusieurs mois, il a supprimé l'indemnité à la cantine, pourtant maintenue partout ailleurs. Dans les petites usines, cela marche mieux. Chez Bendix, par exemple, ils ont obtenu une augmentation." (Seulement, il oublie de dire que chez Bendix, les ouvriers ont fait grève.) Il poursuit : "La question est très difficile, si nous réclamons le passage du contrôle de la cantine au comité mixte, la direction nous en laissera complètement la gestion. Néanmoins, nous allons tout mettre en œuvre pour contrecarrer son projet."

Le 15 septembre 1945, à la conférence des usines Citroën, Beaumont disait aux délégués mandatés par l'ensemble des travailleurs : "En ce qui concerne la cantine, le cas va être tranché : la C.G.A. fournira à une commission de la C.G.T. les produits destinés aux cantines de la Région parisienne." Ces promesses n'ont pas amélioré le sort des travailleurs. La nourriture devient de plus en plus dégoûtante. Six mois ont passé, et les arguments mensongers de Beaumont sont détruits.

Aujourd'hui, que devons-nous attendre de ce même Beaumont quand il déclare : "SI NOUS RECLAMONS LE PASSAGE DU CONTROLE DE LA CANTINE AU COMITE MIXTE, LA DIRECTION NOUS EN LAISSERA COMPLETEMENT LA GESTION. CE SERA TRES DIFFICILE."

Mais, puisque les capitalistes possèdent l'ensemble de tous les moyens de ravitaillement et de transport, c'est eux qui doivent assurer la nourriture des ouvriers. Si Beaumont veut contrecarrer l'attitude de Boulanger, "le patron de combat", les faits prouvent qu'il n'y a qu'une seule voie, celle de l'action. C'est pourquoi la grève des ouvriers de Clichy est le prélude de la lutte de l'ensemble des travailleurs. Par leur attitude combative, ils ont obligé leur syndicat à prendre position devant la direction.

Puisque la situation ne peut aller qu'en s'aggravant, dans les conditions inextricables où les capitalistes ont placé le ravitaillement – en accaparant le peu de produits existants et organisant par là-même le marché noir– les travailleurs n'ont d'autres ressources que de pousser leurs syndicats à exiger des patrons qu'ils assurent leur subsistance avec le seul mot d'ordre : SANS NOURRITURE, PAS DE TRAVAIL.

RENARD


OU SONT LES VRAIES SALOPES

A Clichy, pendant la grève, un bureaucrate traite les membres de l'opposition de "petites salopes qui se permettent de donner des conseils à la section syndicale" et prétend que "ces gens font consciemment ou inconsciemment le jeu de la direction".

Cependant, dans leur tract, nos bonzes ont été obligés de reconnaître que les faits dénoncés par nous étaient véridiques. Et les ouvriers, convaincus de la justesse de nos arguments, les ont poussés à élargir le débat au problème de la cantine en général, alors qu'eux auraient bien voulu – justement pour "faire le jeu de la direction"– le limiter au "beefsteak" des forgerons. Alors, d'eux ou de nous, qui sont les vraies "salopes" ?

Qui se sent traître ne peut se défendre que par la calomnie.


LA PROPAGANDE FASCISTE DANS LES USINES

Des camarades nous signalent que devant la carence de la C.G.T., les délégués de la C.F.T.C. s'offrent pour aller trouver la direction et que, souvent, ils obtiennent de petits résultats. Chez Aréna, à Montreuil, la déléguée du Syndicat chrétien faisait courir le bruit que, de préférence, le patron augmentera les ouvriers de la C.F.T.C. Chez Gnome et Rhône, le Syndicat chrétien a pris à plusieurs reprises des initiatives bien vues par les ouvriers. Dans d'autres endroits, des ouvriers, face au paternalisme de la C.F.T.C. et des petits résultats que des patrons lui accordent, désertent leur Syndicat de classe au bénéfice de la Centrale des curés.

A la faveur du désarroi actuel, les capitalistes essaient aussi d'introduire dans les usines leur poison réactionnaire. Chez Alsthom, à Saint-Ouen, des tracts antisémites ont circulé ; chez Citroën, des agents du patron font la propagande fasciste sur la nécessité d'une dictature, d'un homme à poigne, etc...

Il est évident que les manœuvres de la C.F.T.C. et la propagande fasciste ne sont possibles qu'à cause de la carence et de la politique pourrie des dirigeants de la C.G.T. Mais cette pourriture, il faut la combattre par des moyens et des principes ouvriers, antipatronaux au premier chef, et pour l'intérêt du socialisme, tandis que le Syndicat des curés veut faire prévaloir le paternalisme (les ouvriers doivent se fier au bon cœur du patron) et tirer les ouvriers en arrière ; quant à la propagande fasciste, elle essaie d'introduire parmi les ouvriers les préjugés et les idées les plus rétrogrades et de faire prévaloir la réaction et l'obscurantisme propices à l'exploitation patronale.

Travailleurs, soyez vigilants, extirpez des usines la vermine fasciste, luttez dans vos syndicats de classe.


SALAIRE MINIMUM VITAL

A propos de notre article "Défense des 40 heures", paru dans le n°8 de La Voix, un camarade nous signale :

Henri Raynaud, dans L'Humanité, accuse le trust Citroën de saboter la production pour ne pas avoir à payer les heures supplémentaires. Selon Raynaud, "envers et contre tous, les ouvriers entendent continuer leur rythme de production".

La Maison Citroën, même en payant les majorations d'heures supplémentaires, trouve son bénéfice. La preuve, c'est qu'à Clichy, on fait encore 45 et même 50 heures. Mais, comme M. l'administrateur général Boulanger connaît les "faiblesses" des organisations syndicales et leur politique de "production", il diminue la journée de travail pour émouvoir Henri Raynaud et pour que celui-ci invite les ouvriers à "continuer leur rythme de production envers et contre tout". Si les ouvriers suivent Raynaud, la maison Citroën aura "sa" production et "ses" bénéfices, la manœuvre de Boulanger aura été bonne.

Les ouvriers comprendraient beaucoup mieux qu'au lieu de crier à la production en restant à la merci du patronat, on impose à celui-ci, sur la base des 40 heures, un salaire minimum vital. Un salaire décent pour un travail décent, telle est la revendication des ouvriers, et non pas l'accroissement des heures de travail.


Congrès du Bâtiment

Les 5, 6, 7 et 8 mars, se tenait à la Porte de Versailles, le Congrès national ordinaire du bâtiment, qui a vu la fusion avec la Fédération du Bois.

Les débats ne sont intervenus que sur le plan fixé par la direction syndicale. Ce plan était le reflet de la politique gouvernementale actuelle du Parti Communiste Français, l'on peut dire forme "Syndicalisme d'Etat". Comme il faut donner quand même l'impression de la démocratie, la liberté de présenter une motion en dehors de "la ligne" existait, mais elle était aussitôt combattue systématiquement par une opposition préparée et organisée, et la plupart des délégués se surveillant réciproquement votaient "dans la ligne".

Des délégués, se rendant compte de l'impossibilité de quoi que ce soit dans une pareille atmosphère, étaient d'accord pour un article 12 de Fréour, où il était proposé une égalité de droit pour les candidatures et le vote secret. Revenir au vote secret, c'est revenir en arrière, c'est signe que l'on doit protéger le votant contre un appareil quelconque de répression. Si la véritable démocratie ouvrière existait, nous n'aurions pas besoin d'avoir recours à de tels moyens. Ce n'est que dans la mesure où la classe ouvrière prendra conscience de lutter en dehors des directives des "officiels" du mouvement ouvrier que l'atmosphère changera et cela ne peut être obtenu avec des moyens artificiels.

Les décisions prises sont pour l'adoption du cumul des mandats syndicaux et politiques, l'emploi de la main d'œuvre étrangère d'après le plan gouvernemental, le travail au rendement, etc...

Nous avons eu le "plaisir" d'entendre les ministres Billoux et Croizat qui se relayaient pour maintenir l'atmosphère voulue en faveur des directives du P.C.F. Les délégués qui, à l'arrivée des ministres ne se levaient pas en chantant "La Marseillaise", étaient particulièrement repérés. Nous pouvons même affirmer qu'un délégué, qui s'était fait remarquer pour n'être pas particulièrement "dans la ligne", s'est vu discuter la validité de son mandat et que ses frais n'ont pas été payés. Voulant faire appel et voulant rendre compte du Congrès en réunion locale aux ouvriers l'ayant régulièrement mandaté, il a vu descendre le responsable départemental avec des syndiqués staliniens qui ont fait pression pour le mettre en minorité. Voilà les moyens employés pour avoir des votes d'unanimité, un ouvrier perd quatre jours de son travail et rien ne lui est réglé ; qu'il soit un suiviste et tout ira comme sur "des roulettes".

Avec un Congrès aussi bien orchestré, inutile de dire que le principe de "l'échelle mobile" a été repoussé.

DIXIE


...ECHOS...


Gnome et Rhône (S.N.E.C.M.A.)

Ayant l'accord du syndicat pour faire produire les ouvriers un maximum, jusqu'à l'épuisement, la direction à Kellermann en profite.

Cette direction affiche ouvertement dans l'usine les décisions qu'elle prend contre les ouvriers, les sachant désarmés par la C.G.T. Un ouvrier a eu 8 jours de mise à pied pour avoir essayé de faire un temps potable en présence du chronométreur.

Cet ouvrier avait parfaitement raison de faire l'essai normalement, car s'il est facile de travailler comme une brute pendant un quart d'heure en présence d'un chronométreur, le rythme imposé est difficile à respecter pendant 8 heures et chaque jour suivant. C'est vrai qu'étant incapable de faire travailler tous les parasites existants, nos "chefs ouvriers" doivent combler en crevant les ouvriers de qui ils tiennent leur place.

ANDRE


Les salaires chez Aréna

O.S. (bricoleuses), maximum au rendement, 30 francs, d'après le dernier réajustement des salaires ; sur quoi s'est-on basé pour augmenter les O.S. bricoleuses, les unes de 2 frs., les autres de 3 frs. ? Sur la cote d'amour ! Nous devons exiger l'unification du salaire des bricoleuses sur le taux le plus élevé.

Manutentionnaires (femmes), 25 frs.

Régleurs-décolleteurs, 44 francs. La différence entre les aide-régleurs et régleurs est trop grande ; avec l'augmentation, les régleurs ayant 44 francs, les aide-régleurs doivent avoir entre 37 et 39 francs et tous au même taux.


Dans une brasserie, rue de la Glacière, les salaires sont très bas, certains ne dépassent pas 22 fr. de l'heure. Les heures supplémentaires payées à 10% au-dessus de la 48e heure. Les ouvriers font 54 heures par semaine ; pour un manœuvre spécialisé gagnant 25 fr. de l'heure, les majorations pour une semaine se montent à 15 francs.


DEBRAYAGES

Depuis des mois, les délégations se suivent à la direction Citroën pour réclamer l'augmentation des salaires jamais accordée. Le patron n'a-t-il pas déclaré récemment : "LES OUVRIERS SONT AU TARIF. ILS GAGNENT LARGEMENT LEUR VIE."

Aussi, las de bavardages qui, en fin de compte, ne donnent jamais rien, mercredi 7 mars les régleurs de Grenelle, qui viennent de se voir refuser une fois de plus une augmentation de 5 francs, décident de faire grève.

Aussitôt, la section syndicale, pour prévenir le mouvement, les appelle à une réunion où elle leur propose une nouvelle délégation. Des protestations s'élèvent : "Des délégations, on en a assez...", "Ce qu'il nous faut, c'est de quoi vivre..."

La grève est votée à l'unanimité, contre la volonté des délégués qui déclarent : "C'est à vous qu'en reviendra toute la res-ponsabilité. Le syndicat s'en décharge complètement." Réponse des ouvriers : "Si le syndicat ne s'en occupe pas, nous nous en occuperons nous-mêmes".

Un autre ouvrier intervient alors : "Camarades, le cas des régleurs n'est pas seulement propre à Grenelle, mais aussi à toutes les usines Citroën. Il faut étendre le mouvement et avertir les autres boîtes pour les faire débrayer, sinon, nous échouerons."

Contre la volonté de l'ensemble des ouvriers de l'usine, le syndicat, par ses efforts, a réussi à cantonner la grève aux ré-gleurs seuls. Ces derniers, après 24 heures de grève, ont obtenu satisfaction : de 3 à 4 fr 95 de l'heure.


Mais à Grenelle... les délégués ont une idée très spéciale de leur rôle !

Ne voulant pas tolérer des traîtres dans leurs rangs, les ouvriers demandent à l'A.S. qu'on retire la carte syndicale à un contremaître, véritable flic, qui venait de faire muter à Javel, sans motif, un jeune ouvrier.

La section syndicale répond que... le cas va être mis à l'étude.

Le jour de la grève, un délégué répond à l'ouvrier qui demande que le mouvement soit étendu aux autres boîtes : "Tu comprends, camarade, il y a déjà trop de travail ici, sans avoir à nous occuper des autres usines".


QUAND NOS DELEGUES SONT COMBATIFS...


Chez Citroën-Levallois

A la dernière Assemblée générale, les ouvriers ont réclamé la carte de travailleurs de force. Un délégué combatif a fait de telle sorte que l'Inspecteur du travail s'est dérangé. Les ouvriers ont maintenant la promesse qu'ils auront leur carte pour avril.


Chez Ladrey, à Clichy

Après deux heures de débrayage, augmentation générale des salaires :

Le délégué de chez Ladrey sait défendre les intérêts de sa classe. Aussi, grâce à son activité, les ouvriers de cette usine obtiennent, après deux heures de grève, une augmentation générale de salaires, allant de 2 fr. à 4 fr. 75 selon les catégories.

Il est vrai que Ladrey étant une "petite boîte", les bureaucrates n'ont pas jugé utile de "s'en occuper" pour briser le mouvement.


MANŒUVRES PATRONALES


Citroën-Clichy

La direction a modifié l'horaire de la journée de travail qu'elle ramène de 9 h. 15 à 9 h., soit un quart d'heure de moins. Pour un taux d'affûtage de 20 fr. en moyenne, cela diminue de 5 fr. par jour la paie des ouvriers, qui, habitués à leur cadence, sortent la même production. La somme ainsi économisée permet à la direction de payer des heures supplémentaires aux ouvriers fabriquant des pièces détachées pour l'extérieur. Ainsi, nos patrons se servent de ce qu'ils volent aux uns pour tirer des bénéfices supplémentaires des autres.


Chez Simca

La direction qui n'accorde que 3/4 d'heure aux ouvriers pour déjeuner empêche ceux-ci de sortir. C'est ainsi que de nombreux ouvriers des environs sont obligés de manger à la cantine. Cette institution date de l'occupation allemande.

Qu'il s'agisse d'une direction française ou allemande, les travailleurs se rendent compte que ce sont toujours les mêmes méthodes qui sont employées contre eux.

Nous exigeons le retour au régime d'avant-guerre : 1 h. 1/2 pour déjeuner où bon nous semble.

Sous la pression des ouvriers, la direction vient d'augmenter les taux d'affûtage, mais parallèlement, elle supprime la prime qu'elle attribuait à ces ouvriers. Les salaires ont augmenté mais la paie reste la même. Que fait le syndicat ?, disent les ouvriers.


Chez Carnaud

Tous les ouvriers sont embauchés à 2 francs au-dessous du tarif de leur catégorie, avec promesse d'augmentation. Mais comme cette usine est une véritable "boîte", personne n'y reste longtemps. Ainsi, en imposant des conditions de travail très dures à ses ouvriers, la direction s'assure la possibilité d'une main d'œuvre bon marché.


ASSEMBLEE GENERALE


Hispano

En ce qui concerne la cantine, le rapporteur indique que la situation est critique, car depuis le 1er janvier 1946, la direction a supprimé les subventions. Il y a un déficit de 40 000 francs qui est couvert par les œuvres sociales de l'usine.

Il va falloir prendre des mesures, mais il ne dit pas lesquelles ! Une partie du personnel occupée à la cantine a été mutée à la production. Les ouvriers seront moins bien servis et ceux qui restent auront davantage de travail. L'orateur conclut en faisant appel à la bonne volonté des ouvriers à accepter les sacrifices imposés par la situation.

Ensuite, Lafabre prend la parole et annonce une "victoire" de la section syndicale qui a obtenu que la direction fasse des "sacrifices" en augmentant les ouvriers : 2 francs pour les manœuvres, 1 fr. 50 pour les O.S. et 1 fr. 25 pour les profession-nels. Les ouvriers protestent en indiquant que ce n'est pas une victoire puisque, depuis que cette revendication a été formulée, la vie a augmenté dans des proportions de beaucoup supérieures. Un ouvrier réclame l'échelle mobile des salaires. Le bureau syndical répond par le langage bien connu : "stabilisation". Les ouvriers protestent : "A l'action, assez de paroles !"

Lafabre est obligé d'en appeler à la "démocratie" pour pouvoir continuer à parler et clôt la discussion en invitant les ouvriers intéressés à assister à une réunion le 4 mars.

Le représentant des Métaux fait ensuite la morale en parlant de l'unité, etc.


Assemblée du 5 mars

Lafabre nous invite à accepter les augmentations que propose la direction, sinon nous perdrons tout. Il donne le compte-rendu de la délégation au ministère de l'Air. Celui-ci a répondu que les augmentations n'étaient pas de son ressort, car il donne à la direction 164 francs de l'heure par personne productive, comme chez Renault et à la Lorraine.

La direction refuse les augmentations car le déficit, qui était de 20 millions en 1944, est passé à 40 millions. Elle explique que cette augmentation du déficit est due à ce qu'en 1944 on a dû payer des ouvriers sans travailler (Nous croyons savoir que 75% étaient payés par l'Etat).

La section syndicale pense que le déficit est dû à une trop grande proportion de parasites et réclame l'affichage au panneau syndical de la paye du personnel de maîtrise. La direction refuse en prétendant qu'aucune loi ne l'oblige à un tel acte.

C'est devant la menace de la section syndicale de dénoncer publiquement la direction Hispano que celle-ci a consenti à quelques augmentations.

Les ouvriers protestent : la section syndicale n'aurait pas dû accepter, car si les régleurs et les outilleurs sont augmentés, alors qu'ils avaient déjà eu une augmentation deux ou trois semaines avant, les manœuvres et les O.S. ont une augmentation nettement insuffisante. Lafabre rappelle que c'est sous la menace des régleurs et des outilleurs, réunis dans la cour, de quitter l'atelier que la direction a dû céder les augmentations antérieures.

Des ouvriers accusent les responsables syndicaux de les avoir trahis, car ils s'étaient engagés à soutenir surtout les ca-tégories les moins payées. Un délégué se justifie en disant qu'il a été plus facile d'obtenir satisfaction pour les ouvriers qualifiés qui sont rares que pour les manœuvres et les O.S. parmi lesquels la main-d'œuvre ne manque pas.

Devant les nombreuses questions de quelques ouvriers, les responsables syndicaux demandent : "Qu'est-ce que vous auriez fait à notre place ?"

Des ouvriers répondent : "Il fallait vous en référer à l'assemblée générale et porter devant la direction les décisions de l'ensemble des ouvriers."

Mais Lafabre a dit lui-même : si les régleurs et les outilleurs ont eu satisfaction, c'est parce qu'ils se sont réunis dans la cour et ont menacé de cesser le travail.

Pour obtenir satisfaction, le secrétaire Lafabre aurait donc dû convoquer tous les ouvriers dans la cour, monter à la drection, et dire : "Les ouvriers ont cessé le travail, ils ne le reprendront que lorsque l'augmentation qu'ils réclament sera accordée".

L'action directe, c'est la seule façon de faire plier la direction.


REVUE DE PRESSE


La France manque de locaux d'habitation, mais la France manque aussi de devises, elle doit vendre ; mais vendre quoi ? Des produits de luxe, et Jacqueline Bernard, dans Combat écrit avec regret : "S'il était possible d'accueillir chez nous des touristes étrangers, dans des hôtels spéciaux et confortables qui leur seraient réservés, la vente de nos produits de luxe pourrait considérablement augmenter."

On pense à réserver DES hôtels confortables pour les touristes, mais a-t-on pensé à procurer des locaux aux prolétaires. Le Monde répond affirmativement : "Les travaux de réfection de certains immeuble de l'îlot 16 (4e arrt. de Paris) ont déjà permis de loger 500 familles. D'autre part, dans des immeubles non encore expropriés, la Préfecture de la Seine a autorisé 110 locations nouvelles."

Si, pour les touristes étrangers, on regrette le manque d'hôtels confortables, on trouve tout-à-fait décent qu'un prolétaire, qui a travaillé 9 ou 10 heures à l'usine, auxquelles s'ajoute la fatigue du métro, loge dans des îlots insalubres.


Franc-Tireur du 6 février s'écrie : "Bravo ! les mineurs. Une belle victoire à l'actif des mineurs : notre production a atteint, pour la semaine du 21 au 26 janviers, 102% de la production hebdomadaire de 1938, ce qui représente en six mois une amélioration de 50%. Cet effort tenace constitue à la fois un exemple et un espoir pour la nation."


La Vie Ouvrière du 14 février affirme : "Lorsque nous demandons aux ouvriers de produire, c'est, évidemment, on le comprend aisément, l'intérêt de chacun."

Mais Franc-Tireur du 7 février conclut : " L'indice des prix a passé de 100 à 850 entre 1938 et 1945 et celui des salaires dans le même temps, de 100 à 350. Le pouvoir d'achat des travailleurs a donc été réduit de près de 3/5, exactement 57%."

Ajoutons, toujours d'après Franc-Tireur, que depuis que la guerre est finie (avril 1945) et que les syndicats ont engagé la "Bataille de la Production", le pouvoir d'achat est tombé de 54% à 43% par rapport à 1938.


Bordeaux, 1er mars – "Les dockers du port de Bordeaux se sont mis en grève pour protester contre la diminution de leur ration quotidienne de vin, ramenée de 1 litre à un demi-litre."


Calais, 1er mars – "Les dockers du port de Calais ont décidé ce matin une grève symbolique de 24 heures pour réclamer l'unification des salaires, l'attribution de la carte professionnelle et le remplacement de l'ingénieur du service maritime des Ponts et Chaussées. Le travail reprendra demain matin à 10 heures."

Libération, 2-3-46


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