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Lettre au Comité d’Unification POI-CCI
24 janvier 1944
Au Comité d’Unification
Le 24 janvier 1944
Camarades,
Cette lettre a pour but de vous expliquer notre attitude à l'égard des deux organisations POI et CCI.
Une expérience de 6 années (33-39) nous a montré que l'organisation de la IVème Internationale en France (les groupes qui en ont pris naissance) n'avait rien de commun avec un Parti communiste prolétarien. Les milieux de recrutement, les méthodes organisationnelles, politiques et d'éducation ne pouvaient et n'ont pu faire sortir les "BL" de France de l'état de groupes politiques d'essence petite-bourgeoise, et de ce fait malgré toute une série d'événements exceptionnellement favorables (sinon à la construction d'un grand parti révolutionnaire, du moins à la sélection de cadres éprouvés – qui auraient été des gages certains de l'avenir) dans les années qui ont précédé la guerre, celle-ci a provoqué I'effondrement des organisations de la IVème, et après 4 ans de guerre rien ne laisse voir effectivement qu'un changement véritable se soit produit dans la conception même du travail révolutionnaire des organisations reconstituées.
C'est donc la conviction que la nature même de ces organisations s'oppose au recrutement, à l'éducation et à l'action véritablement prolétariens, qui nous a obligés à changer de milieu et essayer d'implanter les idées de la IVème chez les ouvriers par le recrutement et l'éducation de nouveaux cadres communistes.
Nous avons entrepris ce travail avec toute la prudence et la modestie qu'exigent les difficultés innombrables qu'on rencontre en pareil chemin. Nous n'avons pas "lancé" une nouvelle organisation destinée à sauver le prolétariat de ce pays et du monde : nous avons essayé d'apprendre le véritable contenu de l'activité communiste, suivant ce conseil de Lénine aux communistes étrangers : "nous apprenons dans le sens général du mot ; eux (les étrangers) ils doivent apprendre dans le sens spécial : à comprendre l'organisation, la structure, la méthode, le contenu de l'action révolutionnaire. S'ils le font, je suis persuadé que les perspectives de la révolution mondiale seront, non seulement bonnes, mais excellentes". Nous sommes convaincus que c'est cette façon d'aborder le travail révolutionnaire qui nous a permis, en 1940, d'adopter la seule attitude compatible avec le programme de la IVème. Il se trouve ainsi à nouveau confirmé que la simple adhésion à un programme tout fait ne saurait prémunir contre les déviations de toutes sortes, – qui en temps de guerre sont décisives – (quelles que soient les explications après coup et bâties de toutes pièces du POI sur "la transformation de la révolution nationale en révolution prolétarienne") : c'est dans un combat de tous les jours qu'il faut arracher les militants aux habitudes et à l'influence de la petite-bourgeoisie ; seul un parti prolétarien peut redresser ses fautes et la façon dont il le fait est une nouvelle preuve de sa véritable nature.
Or un tel travail est absolument impossible dans des organisations dont la composition sociale et les habitudes (les fameuses traditions ! ) font de la discussion stratégique, tactique et politique en général l'essentiel de l'activité de leurs dirigeants et par conséquent détermine les préoccupations des militants et des milieux qu'ils touchent : les cadres de ces organisations sont par leurs qualités dignes de militer dans un parti ouvrier qui les assimilerait, mais leurs défauts les rendent inaptes à construire ce parti.
Nous avons esquissé dans notre brochure de novembre 40 nos perspectives sur le parti révolutionnaire : conquérir au programme de la IVème les cadres essentiels du prolétariat, les militants "représentants de leur classe" (Marx), notamment les ouvriers communistes (qui forment encore le gros de ces cadres,– n'en déplaise au CCI – ) . Vous-mêmes vous parlez de votre entrée éventuelle dans des organisations de masse. Notre travail ne s'oppose pas au vôtre, réserve faite des divergences politiques qui sont nées de la guerre. Nous n'avons pas opéré une scission dans les rangs de la IVème en France , l’affaiblissant ainsi "à la légère" (ce qui pourrait bien être le cas de vos deux organisations puisque vos scissions et unifications sont devenues cycliques) : au contraire nous avons gagné au programme de la IVème de nouveaux cadres et centres d'influence, modestes absolument mais non relativement.
La question de l'unité des cadres révolutionnaires de la IVème se pose pour nous de façon plus aiguë que pour vous, car nous avons bien des difficultés pour faire face aux besoins de la lutte, en raison de notre faiblesse numérique. Nous sommes des militants communistes qui veulent travailler sous la discipline d'un parti prolétarien et non des "leaders" de fractions petite-bourgeoises.
Malheureusement, depuis notre rupture aucun indice n'est venu infirmer les conclusions de l'expérience passée : l'effort unificateur a belle allure, mais ne constitue pas une évolution vers des méthodes et des conceptions qui paraissent indispensables pour la création du Parti. Cependant, si quelque changement semblable s'est produit à notre insu dans vos organisations, nous serions heureux de pouvoir changer d'attitude. Dans ce but, nous vous proposons, si cela vous convient, d'envoyer, à titre d’observateur, un camarade qui pourrait prendre connaissance de ces changements, dans votre Comité.
Dans le cas contraire, nous espérons fermement que la montée révolutionnaire du prolétariat départagera à temps les éléments révolutionnaires et non-révolutionnaires dans vos organisations, pour que l'unité des militants de la IVème Internationale puisse conduire à la victoire.
Saluts communistes
Groupe communiste "Lutte de Classes"