Edito des bulletins d'entreprise Lutte Ouvrière, 14 09 2001

NEW YORK - ON NE PEUT ENTRETENIR LES GUERRES AUX QUATRE COINS DU MONDE SANS QU'ELLES VOUS RATTRAPENT UN JOUR

Les avions qui ont détruit le World Trade Center ont sans doute fait des milliers de victimes civiles innocentes. C'est un véritable acte de guerre, dit-on. Effectivement. Leur famille et le peuple américain tout entier ont été tragiquement touchés. Cela suscite le dégoût envers ceux qui ont décidé et organisé ces attentats.
Les soupçons des autorités américaines portent, à tort ou à raison, sur un dirigeant musulman intégriste, Ben Laden. Bien qu'il puisse s'agir d'un bouc émissaire commode. Il est certain que quel que soit son rôle réel ou supposé dans ces événements, son passé montre qu'il n'a jamais agit dans l'intérêt des peuples arabes en général et du peuple palestinien en particulier.
Cela dit, s'il peut commettre de tels crimes, avec sans doute l'accord moral d'une grande partie de la population palestinienne et peut-être, au-delà, de celle de tous les Etats arabes, la responsabilité en incombe aussi aux dirigeants de l'Occident et en premier lieu aux responsables de la politique américaine. Malheureusement et tragiquement, c'est le peuple américain qui paie.
Les dirigeants israéliens qui ont réprimé et répriment encore la révolte des pierres de la jeunesse palestinienne avec des blindés, des mitrailleuses et des tirs à balles réelles, ont déclenché contre leur propre peuple une vague d'attentats suicides.
Or il faut bien se dire que les volontaires qui en Israël se transforment en bombes vivantes ne le font pas simplement par fanatisme, comme on le dit ni, bien évidemment, pour de l'argent. C'est le désespoir de tout leur peuple et particulièrement celui de la jeunesse palestinienne sans avenir, qui les pousse à se sacrifier pour répondre avec les moyens du pauvre à la puissance d'un Etat riche et sur-armé, grâce en particulier aux USA.
Ben Laden est un criminel réactionnaire, mais s'il peut trouver des soutiens moraux et des volontaires parmi la population palestinienne et, plus généralement, arabe, c'est bien parce que les occidentaux ont désespéré ces peuples.
Cela fait des années que les USA maintiennent un blocus contre l'Irak. Officiellement pour faire tomber Saddam Hussein. Cela ne fait pas tomber Saddam Hussein, au contraire, mais cela fait mourir de privations et de manque de médicaments des enfants irakiens. Les dirigeants américains sèment et entretiennent là une haine qui peut aussi se transformer en actes terroristes, une arme condamnable, fondamentalement inefficace, mais qui est l'arme des pauvres, des faibles et des peuples désespérés.
Georges Bush s'est lavé les mains de ce qui se passait en Palestine et en Israël. Israël a fait de nombreuses entorses aux accords précédents, ceux de Camp David, qui créaient “l'autorité palestinienne” -Israël refusait le terme d'Etat palestinien- qui administrait un territoire autonome. Mais, depuis, l'Etat israélien n'a cessé d'installer des colons juifs dans ces territoires. Il en a fait venir de partout, d'Europe, des Etats-Unis, et les a installés dans de véritables camps retranchés. Ce n'est évidemment pas une vie que vivent ces colons. Ils sont moins nombreux que les militaires qui les protègent. Ils dorment et vivent le fusil à portée de la main tout en sachant bien qu'ils peuvent être tués à tout moment et que leur présence n'a guère d'avenir.
C'est la droite israélienne qui a imposé et créé ces colonies pour refouler les populations arabes. Et la gauche, même lorsqu'elle était au pouvoir, les a tolérées. Sharon, au temps où il était dans l'opposition, était le principal partisan de cette colonisation pour, peu à peu, chasser les Palestiniens en leur rendant la vie impossible.
Depuis le début de l'Intifada, Israël menait la répression. Sharon est venu au pouvoir en promettant de la renforcer pour “permettre au peuple israélien de vivre en paix”. Le peuple israélien n'a connu qu'une insécurité renforcée par les attentats suicides. Des attentats qui prouvent le désespoir du peuple palestinien et, finalement, Sharon prépae à la jeunesse israélienne un avenir tout aussi incertain et catastrophique que celui de la jeunesse palestinienne.
Evidemment, c'est un véritable acte de guerre qui vient de se passer à New York et à Washington. Un acte de guerre contre des victimes innocentes. Cet acte ne servira pas la cause des peuples arabes ou palestinien car il renforcera la cohésion du peuple américain autour de ses dirigeants et ses réactions de rejet envers les arabes.
Les dirigeants américains et Bush en particulier, voire certains journalistes français, qui parlent du plus grave attentat contre des civils de toute l'histoire, tout en parlant d'ace de guerre, oublient Hiroshima, Nagasaki et tout les bombardements sur le Nord Viet-Nam, pour ne citer que ceux-là. C'est l'hypocrisie ouverte de gens qui, se pensant les plus forts, croient pouvoir tout se permettre.
Nous sommes aux côtés des victimes et des familles des victimes et aux côtés du peuple américain dans ces circonstances car c'est lui la victime. Mais nous sommes aussi du côté des jeunes palestiniens assassinés par les troupes israéliennes simplement parce qu'ils jettent des pierres. Nous sommes aux côté des palestiniens qui voient des hélicoptères tirer des missiles sur leurs bâtiments publics et leurs habitations privées, de cette population qui ressent elle aussi une panique épouvantable lorsque cela arrive.
Les dirigeants américains sont, depuis la fin de la dernière guerre mondiale, derrière la plupart des conflits qui se sont produits dans le monde : les coups d'Etat, les guerres civiles. Pinochet au Chili et sa dictature sanglante, pendant des années, c'étaient les USA via la CIA. Combien d'autres dictatures sud-américaines ou africaines ont-elles été financées et le sont encore par les grandes puissances ?
Oui, les dirigeants américains sont derrière toutes les guerres du monde. Ils croyaient pouvoir dire à leur peuple qu'il ne serait jamais touché et resterait spectateur. Mais ils ont été rattrapés par la violence qu'ils ont provoquée ou entretenue depuis des années. Et, aujourd'hui, on peut dire que si l'auteur, le financier, l'organisateur, de cet attentat criminel est bien Ben Laden, les dirigeants américains en sont finalement co-responsables, avec plus particulièrement la politique de Bush qui a amené l'insécurité pour le peuple américain.
Les USA sont touchés au coeur symbolique de leur puissance, que ce soit le World Trade Center ou le Pentagone. Mais ils ne sont pas détruits. La puissance américaine s'en remettra même si, moralement, c'est un choc pour un pays dont le président de droite s'est voulu dur et ferme et a refusé d'être un médiateur dans le conflit israélo-palestinien. Un président qui s'est vanté de ses systèmes anti-missiles et de son bouclier anti-atomique, voire de sa guerre des étoiles. Un président qui s'est vanté de ses systèmes d'écoute, ces “grandes oreilles” susceptibles d'intercepter toutes les communications, téléphoniques ou autres, du monde entier. Un président qui, dans le danger, n'a su que disparaître et se cacher.
Mais ce n'est pas lui la vraie victime. Lui, comme l'impérialisme américain, sa Bourse et sa puissance militaire s'en remettront. Ce sont les familles des victimes et les blessés qui ne se remettront jamais du drame épouvantable qu'ils ont vécu. Et c'est pour eux que nous avons une peine affreuse.

Arlette Laguiller