LUNIKITA OU LE PACIFISME GLOUGLOUTANT. 21 Septembre 1959
En envoyant une fusée dans la lune et Krouchtchev aux USA, la Russie a, cette semaine, monopolisé l’actualité.
Ces deux manifestations sont d’ailleurs présentées toutes les deux comme devant servir la paix.
La fusée parce que, preuve de puissance, les Russes espèrent qu’elle inspirera à leurs éventuels adversaires la crainte de déclencher un conflit. Et Krouchtchev, parce que, n’est-ce pas, il suffit de se comprendre et de s’entendre pour que tous les risques de guerre s’évanouissent.
Malheureusement la réalité n’est pas à l’image de ces gestes destinés à abuser les peuples. Si les guerres n'étaient dûes qu’à des malentendus entre hommes politiques, peut-être ces gestes auraient-ils une influence. Mais ce n’est pas le cas. Les guerres, toutes les guerres, sont dûes à des rivalités d’intérêts. Ces différends se règlent toujours par la force : que ce soit la lutte économique ou la guerre, ou la menace de guerre.
Il y a quarante ou cinquante ans JAURES, LENINE et d’autres ont expliqué que le capitalisme engendrait les guerres du fait même de son existence, et ces quarante ou cinquante dernières années nous l’ont amplement démontré. LENINE, en son temps, se moquait des pacifistes, sincères ou non, qui réclamaient un désarmement général. Il dénonçait cette attitude parce qu’elle faisait le jeu des dirigeants impérialistes qui pouvaient ainsi couvrir le bruit des usines d’armement par le brouhaha des conférences de paix.
LENINE ne pensait sûrement pas qu'un jour, un dirigeant de l’Etat nouveau qu’il avait contribué à construire, se ferait le commis-voyageur de la marchandise pacifiste éventée depuis cinquante ans.
Quant à JAURES, si son nom figure encore dans l'Humanité, que sa pensée est loin des colonnes qui commentent le voyage de Krouchtchev !
Parce que, entendons-nous, ce n’est pas que Krouchtchev fasse un accord avec les USA, que pourraient lui reprocher les révolutionnaires dont il usurpe la filiation. Sa responsabilité est ailleurs. Elle réside dans le fait qu’il est complice de l’énorme mensonge qui présente les accords et les traités comme des moyens d’éviter la guerre.
Ces accords et ces traités n'évitent la guerre que dans la mesure où il y a accord possible. C’est-à-dire qu’ils ne servent à rien, car ils ne créent pas le fait. Ils l’entérinent seulement. Il y a toujours un moment où l’accord n’est plus possible. Ce moment porte un nom : c’est la guerre.
Et le seul moyen d’éviter la guerre, c’est d’en supprimer la cause en détruisant le capitalisme. C’est la leçon qu’enseignaient LENINE et JAURES il y a quelque quarante ans.
En prétendant le contraire, Krouchtchev berne les peuples, les détourne de la seule lutte effective pour la paix et s’apparente ainsi à ceux à qui il rend visite. A croire que les règles de politesse entre chefs d’Etat ressemblent au code moral inter-sidéral et que, pour que les USA reçoivent le chef de l’Etat créé par la Révolution bolchevique, il a fallu, pour éviter tout risque de contamination, attendre quarante ans pour qu’on puisse envoyer un dirigeant garanti stérilisé.
Et si l’on peut attacher une importance quelconque aux ridicules propos que la presse nous rapporte des entretiens entre les deux hommes d’Etat, n’oublions pas qu’il est d’usage de se préocouper du goût de la farce lorsqu’on parle de dindons.
Car c’est le sort des pays sur lesquels ils ont une influence que les deux grands monnayeront les "concessions mutuelles” qu’ils se feront. Et l’accord, si accord il y a, se fera aux dépens de ces peuples.