William Morris (translated by Paul Lafargue)

Report to the 1st Congress of the 2nd International

Séance du 18 Juillet

169 Le Citoyen Morris donne un aperçu du mouvement socialiste en Angleterre sans insister cependant sur la situation faite á la classe ouvrière là, comme ailleurs, esclave du capital1.

Il y a 6 ans, à peine 170 était-il question de socialisme en Angleterre. Il restait bien quelque chose du mouvement Chartiste, du communisme de Owen, forcement l'influence du socialisme continental se faisait sentir; mais la bourgeoisie fière de son succès au point de vue commercial, ignorait ou voulait ignorer la situation du proletariat. Un libéralisme hypocrite predomine, naît en politique, considéré par le grand nombre comme l'extrème but à atteindre.

Le développement économique a changé cet ordre de choses: le socialisme est devenu une ésperance pour le prolétariat, une épouvante pour la bourgeoisie, bon mieux nombre de bourgeois se déclarent socialistes aussi longtemps qu'on ne les force pas à reconnâitre le principe de la lutte des classes, La laideur sous laquelle apparait la pauvreté en Angleterre semble avoir reveillé chez eux un coin de conscience 171 endormie, et ils soutiennent et préconisent toutes sortes de réformes. C'est ainsi que l'Etat a favorisé l'emigration dans le but de délivrer le pays d'une multitude des misérables; qu'on a fait une tentative timide pour la reconstitution de la proprieté paysanne, ainsi que pour le établissement des industries villageoises; qu'on a essayé pour l'ouvrier de l'assurance à la Bismarck, et d'un forme nouvelle et plus favorable de la cooperation; nombre de remèdes ont été proposé depuis la pure et simple philantropie jusqu'au Malthusianisme et l'avortement et cela par des bourgeois conscients du volcan sur lequel notre société est assise.

Jusqu'en les dernier temps, le 172 mouvement socialist en etait resté à la phase presque exclusivement intellectuelle, soutenu, d'ailleurs, presque uniquement par des membres du proletariat intellectuel. La situation aujourd'hui a changé, grace à l'evolution economique2 ayant preparé les esprits des travailleurs a recevoir et a accepter les doctrines socialistes. Les ouvriers sont devenus conscientes de la lutte des classes; ils ont compris que le plus ou moins d'misère dans leur existence dépend du rôle qu'ils joueront en tant que faisant partie du mécanisme de la production capitaliste; ils sont poussés par une irrésistible impulsion à vouloir la transformation de la société à sa 174 base même.

Le reveil est dû en partie à la propagande faite aux coins des rues par une poignée de socialistes convaincus. Il y a seulement 3 ou 4 ans, nos orateurs, en des certains endroits étaient hués, sifflés par les ouvriers eux mêmes; aujourd'hui, ils trouvent partout un public attentif voire même qui les acclament. Dans les clubs radicaux de Londres, à peine daignait on écouter les socialistes; aujourd'hui c'est à peine q'ils encontrent un peu d'opposition. Bien mieux, la vie politique à proprement parler ne se manifeste dans ces clubs (il n'est pas question bien entendu de la [???pescode] vide se rapportant des elections) que grâce à ceux-là 175 qui s'affirment socialistes3.

L'obstacle le plus serieux que les socialistes aient rencontrés s'est trouvé dans l'apathie des ouvriers occupés dans des industries dejà consolidées. L'Angleterre ayant été de toutes le nations la première que la grande industrie ait reussi à completement subjuguée, les ouvriers des centres industriels se trouvent depuis des générations nécessairement pliés a l'extrême dependance. Ils sont accostumés à ne se considerer eux-mêmes que comme faisant partie du mécanisme de la fabrique. Le patron est pour eux un "paymaster" avec lequel ils se disputent pourfois, mais qu'ils n'en jugent pas moins indispensable à leur existence.

D'autre part, le mouvement socialiste a été favorisé en 176 Angleterre, par le fait, qu'il y a communauté de sentiment entre le paysan et l'ouvrier des villes, ce qui est loin d'exister en France non plus qu'ailleurs, sur le continent. L'ouvrier agricole en Angleterre, étant l'esclave du fermier n'est pas du tout conservateur (bien qu'il lui arrive souvent d'être obligé de voter pour un conservateur); il a son opinion et l'esprit pridisposé à secouer ses chaînes.

L'evolution politique des partis a servi la cause du socialisme. Ainsi, la seule question irlandaise (dont les socialistes anglais se sont beaucoup occupés) a désorganisé tous les vieux partis. Les ouvriers, habitués à se fier aveuglement au Parlement ont perdu de leur confiance. Il faut constater que le nouveau group politique des radicaux socialistes (représentantés dan la presse par le Star) possédent peu d'influence au Parlement, et qu'il n' en possédera plus aucune le jour ou la question irlandaise sera ou résolue ou écartée.

Nous nous felicitons (c'est à dire le Socialist League au nom de laquelle je parle) nous nous felicitons, dis-je, de cette situation, car nous croyons fermement que les ouvriers perdent et leur temps et leur energie en s'essayant à fair entrer des leurs en Parlement. Nous sommes donc loin de regretter les faibles resultats obtenus par les susdites tentatives.

178 D'autre part, les "county councils" récemment établis dans les grandes villes et surtout à Londres, témoignent contrairement aux intentions des Torys, d'une forte tendance vers le socialisme. On peut espérer qui'ils formeront un jour un centre de ralliement pour le peuple en opposition avec la puissance centraliste et bureaucratique du Parlement, qu'en Angleterre est et ne peut être que réactionnaire puisqu'il est forcément condamné à n'être qu'un comité defendant le sacro saint droit de la proprieté que les socialists ataquent. Le comité, did Parlement, n'a pas eté fâché de compter dans son sein quelque membres de la classe exploitée, dont la presence visait au double but: servir comme ventil de sécurité au mécontentement populaire et indiquer le courant de revindications ouvrières, voire en dedans de quelles limites la hypocrisie bourgeoise peut se donner libre cours.

179 Sans aucune doute, la situation du mouvement en Angleterre est plein d'encouragement. L'opinion publique recherche ou est le vrai avec de plus en plus avec persistance, et bien que l'organisation du parti soit encore insuffisante, on peut être sûr, qu'elle se fera d'elle même et d'une façon irresistible. N'oublions pas de mentionner que le socialisme se propage de plus en plus en Australie non dans le sens où nous le voyons se developper en Amerique, mais bien plutot en se rapprochant du mouvement anglais.

180 Le fait même, du reste, que le socialism a débuté, en Angleterre, comme mouvement intellectuel justifie l'espoir que ses progres ne s'arrêteront pas.

L'idealisme qu'il porte avec lui et qui ne peut manquer de se retrouver au tout esprit un peu cultivé est l'element nécessaire de tout mouvement qui veut s'imposer. Il est sans doute dangereuse de baser notre espoir sur le fatalisme économique, sur la décrepitude continue de l'element bourgeoise. Forcément le developpement logique de la production et de la societé oblige à prendre ces faits en consideration; pour tant, le mouvement historique en peut interromper le cours et accorder un sursis de vie à la supremacie bourgeoise.

181 Il se peut que l'Angleterre jouisse encore d'une periode de prosperité commercielle, bien que en raison même de l'impulsion que cette prosperité donnera aux decouvertes et à l'amelioration du machinisme, les ouvriers en profiterant moins encore que de celle qui l'aura precedée. Quoi qu'il arrive, nous ne cesserons pas d'être socialistes. En effet, nous pouvons être des esclaves mieux nourris, des parasites plus prospères, mais pour cela, tout sera-t'il dit? Non, et le mouvement intellectuelle qui se produira parallelement nous ne permette pas de nous contenter d'une situation qui ne serait pas las réalisation pleine et entière de notre idéal. Nous savons que nous avons à reclamer l'égalité complète des conditions de vie pour tous les 182 hommes, et que cette ideal peut être réalisé; nous n'oublierons jamais le leçon durement apprise; nous savons nous souvenir que bien que le sort de quelque individus se suit, lui, amélioré, il n'en reste pas moins cette "lees" (residuum) dont J. Bright parle avec tant de complaisance et qu'elle sera jusqu à ce que nous ayons atteint notre entier desideratum4. Les ouvriers les plus favorisés ne dépendent-ils pas toujours de leurs maîtres, et, en allant au fond des choses du maître de leurs maîtres: du marché international? L'ouvrier anglais sera tenace pour la revindaction de ses droits et il ne se arretera pas au chemin, mais nous le savons, jusqu'au qu'il les ait tous conquis5.

183 Toutefois, le parti socialiste est menacé, reconaissons-le, d'un phase de disappointement s'il dégenère en un pur parti politique. En ce cas il sera joué par une poignée d'aventuriers, de chasseurs de votes ne ayant de but que leur seul interêt. [Par] dessein, ils nourrisent les espérances du proletariat et le tromperont par une agitation mensongềre en faveur de certains palliatives que ne manquera pas d'accorder un Parlement bourgeois, 184 ce dernier sachant fort bien que les palliatifs, dussent-ils être effectifs n'arriverent jamais à donner à la masse que la libertẽ de voter — et de crever de faim.

Deux choses sont à révendiquer pour les socialistes anglais: en premier lieu, malgrè certaines divergences d'opinion, les socialistes anglais (sauf quelques exceptions) sont foncièrement internationaux — Ils condamment avec la dernière energie le chauvinisme, quelque apparence qu'il prenne. Le mot de "nation" n'est pour eux qu'un terme géographique, loin d'être pour eux un objet d'amour et d'orgeuil, ne ŕeprésent qu'une puissance nuisible, une domination résultante 185 de l'injustice, de la violence, par conséquent vouée à l'execration de tout bonne honnête. En second lieu, les socialistes anglais en vertu de leur idéalisme se sont constitués la garde du côté esthetique du socialise. Sans avoir adopté les utopies de Charles Fourier, ils sont les héritiers (inconscients, pour la plupart) de son idée de la nécessite du travail attrayant. Le fait a son importance. Tous les socialistes veulent que tous les hommes soient astreintes au 186 travail, mais ce but obtenu, ils s'attacheront à ce que le travail soit moins un labour pénible q'une obligation attrayante6.

Malgré des [déconvenues] inevitables, le mouvement socialiste anglais a rendu de réels, d'utiles services à la cause socialiste toute entière en montrant aux ouvriers l'idéale attendu: une vie belle et complète7.

Le mouvement socialiste en Angleterre a engendré une litterature digne d'attention . A côté de plusieurs 187 journaux ouvriers, on remarque les journeaux hebdomadaires: "Justice", organe du "Social Democratic Federation" et "Commonweal", organe de la "Socialist League". Les socialistes publient aussie des pamphlets, des brochures, des feuilles volantes; d'autres ouvrages plus importants ne manquent pas. Un symptom caracteristique c'est que nos romancieres ont trouvé bien d'assaisoner leurs oeuvres d'une certaine dose de socialisme. C'est devenu du mode. Le socialism est donc en Angleterre une plante robuste, poussant d'une semencière vivace, jeune encore, si jeune qu'elle n'a point encore donné ni fleurs ni fruits. (applaudissementes)


Footnotes:

1. The first paragraph has "trace un tableau de la situation des ouvriers", which is crossed out and replaced with "donne un aperçu du mouvement socialiste", both in the black, 'live', ink - hardly translations of the same phrase, and suggesting Morris was struggling with his choice of words at the startback

2. 'evolution economique' replaces the original phrase 'depression industriel', which has been crossed outback.

3. In left column: En un mot, le socialism influence de tel façon les partis politiques que le Ministre Harcourt a pu écrire "Nous sommes tous des socialistes!back

4. 'entier desideratum' in blue replaces 'complète liberté de travail et de la vie' in blackback.

5. This sentence (in blue) replaces the original translation: 'L'orateur est convaincu que les revindications des ouvriers anglais ne se arrêteront pas jusqu'a ce qu'ils ont conquis leur independance et la responsibilité inseperable de la première échangé leur dependance et irresponsibilité d'esclave contre une indépendence complète, et la responsibilité inseperable de celle-ciback.

6. The first version is: mais ce but obtenu, une societé bien organisée tâchera de enlever au travail ses peines, de le faire un plaisirback.

7. Here the translator has crossed out without replacing the phrase: "ne peut être realisée que par le socialisme, lorsque les ouvriers ne seront plus long temps dans une dipendantes [sic]". The phrase which has been deleted is in Morris's handwritten textback.


Title

Report to the 1st Congress of the 2nd International

Source

IISG Guesde Archives: IISG ARCH00496.624.1, Manuscript du Compte Rendu, pp. 169-187

Transcription and notes

Graham Seaman, November 2019

Publication History

First published by the Marxists Internet Archive, 2019

Notes

The source is a handwritten translation of Morris's speech, written down the right hand side of the page in black ink, then later corrected and improved in blue (this is true of all the talks in this session). The handwriting appears to be Paul Lafargue's.

The black version is often a very close transliteration of Morris's text, while the blue is often a more literary paraphrase; however the numerous false starts and repeats in the black version show that it was written down 'live' rather than taken from Morris's own handwritten version.

There are two short passages on the left of the page; one referring to Harcourt, which was not in the original text, and another mostly illegible. This suggests that the left half of the page was reserved for visible asides to the talk.