1921

Source : Bulletin communiste n° 56 (deuxième année), 22 décembre 1921. L'article est présenté comme « paru le 3 décembre dans la Correspondance Internationale ».


Le parti communiste russe pendant la révolution

Grigori Zinoviev


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Au début de 1917, notre Parti était numériquement faible. En avril 1917, il réunissait à Pétrograd sa première Conférence panrusse. 133 délégués, avec voix délibérative, y représentaient 76 597 membres. Au total, 79 174 membres et sympathisants étaient représentés, se répartissent comme suit : Pétrograd, 4 597 ; Moscou, 7 000 ; environs de Moscou, 1 500 ; Oural, 14 600 ; Donetz, 5 433 ; Saratov, 1 600 ; Ivanovo-Vozniéssensk, 3 654 ; Sormovo, 2 009 ; Samara, 2 800 ; Kazan, 400. C'est avec ces faibles effectifs que notre Parti entra dans la révolution.

Et, pourtant, nous étions dès lors, indubitablement, un parti de masses. Car il n'est pas nécessaire qu'un parti de masses soit toujours nombreux. Le Parti Ouvrier russe devint un parti de masses vers 1890. Les bolcheviks, qui paraissaient en 1903 n'être qu'une secte, devinrent un parti de masses en 1904-1905. Quand, en 1905, notre troisième Congrès proclama le mot d'ordre de la grève générale et de l'insurrection, il ne fit qu'exprimer les aspirations et la pensée de milliers de prolétaires avancés avec lesquels nous étions en contact. En 1905, nous inspirions, tout au moins dans la seconde phase de ses travaux, le Soviet de Pétrograd. Au cours de l'insurrection de Décembre, a Moscou, nous étions à la tête de masses que nous conduisîmes ensuite en 1906 contre le ministère cadet.

Réduits par la réaction à une vie clandestine, les effectifs de notre Parti diminuèrent fortement. En 1908-1910, nous n'avions guère plus d'une dizaine de milliers de membres. Mais en contact étroit avec le prolétariat et surmontant les tendances qui nous en eussent séparés, nous restions encore un parti de masses.

A la résurrection du mouvement, après les fusillades d'ouvriers des mines de la Lena, pendant les grèves de 1912-1913 et notre lutte victorieuse contre les mencheviks, à l'époque de la Zvezda et de la Pravda, nos succès prouvent que nous sommes toujours un parti de masses.

Au début de la guerre impérialiste, en 1914, quand les ouvriers de Pétrograd se posent la question de la participation aux Comités d'Industrie de Guerre, nous obtenons parmi eux la majorité. Nous ne l'avons plus au début de la révolution de 1917. Je me souviens de notre étonnement douloureux lorsque, rentrés en Russie, nous trouvâmes au Soviet de Pétrograd une infime minorité bolchevique. La cause de cette situation était dans la crise internationale du mouvement ouvrier en proie au social-patriotisme. Mais il nous fut donné de reconquérir promptement et solidement lès positions perdues.

De 80 000 membres environ que nous avions au début de la révolution, 25 000 tout au plus étaient d'anciens militants, les autres n'ayant adhéré qu'après la chute du tsarisme. Mais nos organisations avaient poussé des racines profondes dans tous les mouvements ouvriers. C'est ce qui devait leur permettre d'accomplir leur œuvre.

Au lendemain de novembre 1917, le Parti, presque entier, entre dans les soviets et dans les institutions soviétistes. Tous ses dirigeants sont absorbés par les soviets, et cela est aussi vrai de la plupart de ses membres. C'est que la tâche des Soviets est d'organiser le nouvel Etat sur les ruines de l'ancien. C'est que, depuis plusieurs mois, toute l'action s'est concentrée sur ce point : tout au pouvoir des Soviets / Le pouvoir est conquis mais il faut créer le système des Soviets dans le pays entier, et ce n'est pas trop pour ce labeur de toutes les forces du Parti. Le travail propre de celui-ci semble diminuer.

En 1918, un mouvement de retour « vers le Parti » se dessine. Le système des Soviets est créé. Mais nous commençons à discerner les maladies dont il va souffrir : bureaucratie, paperasserie, éloignement des masses, griserie du pouvoir de fonctionnaires, etc. Seul le Parti peut corriger les fautes, rétablir le travail, changer les institutions et les hommes, dresser le bilan d'une immense expérience, apprendre aux travailleurs à diriger l'Etat. De plus en plus, en 1918, le rôle dirigeant du Parti apparaît, avec netteté, aux yeux mêmes des sans-parti.

La guerre civile commence et s'étend. Nous entreprenons de former l'armée rouge. Ou nous y réussirons, ou nous succomberons. Et c'est le Parti Communiste qui crée l'armée rouge, chose que n'ont pas encore comprise ni nos adversaires bourgeois, ni nos adversaires socialistes. Quand ceux-ci se sont demandé par quel miracle s'est créée l'armée rouge, ils ne se sont pas rendu compte que le noyau en a été fourni d'abord par quelques dizaines de milliers, ensuite par environ 200 000 prolétaires d'entre les meilleurs groupés dans notre Parti. Jamais on n'eût résolu le problème des cadres de l'armée rouge sans le Parti. Et le rôle décisif de son avant-garde dans la guerre civile devait s'attester une dernière fois en 1921 pendant les journées de triste mémoire de Cronstadt.

En 1919, la semaine de propagande coïncide avec les heures les plus difficiles pour la république. Ioudénitch, Koltchak et Dénikine sont en pleine avance. Et c'est précisément à cette heure que le Parti attire à lui, comme un aimant, l'élite de la classe ouvrière. Des 200 000 nouveaux membres que nous acquérons alors, la plupart sont restés et resteront avec nous.

Le quatrième anniversaire de la révolution a surpris le Parti dans une phase très curieuse de son développement. Depuis trois mois, il épurait inflexiblement ses rangs. Depuis la fin de la guerre civile, le besoin d'une épuration générale se faisait sentir. En des années de dictature victorieuse, le Parti avait dû attirer bien des éléments étrangers, bien des arrivistes. Aussitôt que les circonstances l'ont permis, nous avons procédé à l'épuration. Ce n'a pas été assurément sans commettre ça et là des fautes et des injustices, mais le résultat n'en sera pas moins heureux dans son ensemble. Au point de vue des idées, comme au point de vue de sa composition sociale, le Parti sort de l'épuration plus homogène.

Une mesure aussi mécanique que l'épuration ne put cependant le guérir radicalement des maux que lui impose la période actuelle de transition. Par l'épuration, nous avons gagné un rapprochement plus étroit avec les masses et gagné en prestige. Au cours des dernières élections du Soviet de Pétrograd, pas une voix ne s'est élevée pour nous reprocher la présence parmi nous d'éléments indignes.

Notre Parti garde environ un demi-million de membres. Il nous serait facile de doubler ou tripler ce chiffre si nous cherchions le nombre. Mais notre force est de ne pas le chercher. L'auteur de ces lignes n'est pas de ceux qui pensent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, et ces succès ne l'empêchent pas de se rendre compte des difficultés auxquelles notre Parti aura encore à faire face pendant longtemps et des maladies qu'il devra combattre. Notre Parti a perdu de son homogénéité de classe. Dans plusieurs organisations importantes, les ouvriers d'industrie y sont en minorité. Nous devons suivre avec attention les modifications de sa composition sociale, et les statistiques qui nous les montrent sont de nature à suggérer de sérieuses réflexions.

Vainqueur de tous les autres partis, le nôtre a l'avantage d'être le seul dans l'arène légale. Et qu'on ne vienne pas dire que nous avons vaincu les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires par de seules répressions. Nous avons connu nous-mêmes, pendant des années, les pires répressions. Elles ne nous ont pas anéantis. Notre victoire est due à ce que le Parti Communiste russe est le seul qui ait exprimé et défendu sainement les intérêts de la révolution mondiale. Les mesures de répression que nous avons dû adopter n'ont été couronnées de succès que parce que nos ennemis, après leur banqueroute, étaient d'eux-mêmes en voie de disparition politique.

Mais notre situation légale privilégiée comporte de grands dangers. Il est facile de combattre le petit nombre de ceux qui n'entrent dans le Parti que pour le désorganiser à l'intérieur. Mais étant le seul parti légal, nous attirons naturellement à nous une bonne partie de ceux qui, en d'autres circonstances, rentreraient dans les partis petits-bourgeois. A l'heure actuelle, la plupart de ceux qui veulent participer à la vie politique du pays (et parfois même à la vie économique) doivent ainsi ou autrement adhérer au Parti. Ces éléments sont loin d'être toujours communistes. Les difficultés économiques que nous devrons affronter, longtemps encore nous mettent ainsi en présence du danger de voir certains de nos membres contaminés par l'esprit bourgeois. Ces faits expliquent l'ardeur des discussions de l'année dernière et notamment de celles qu'a suscitées l' « opposition ouvrière ».

Au cours de la quatrième année de la révolution, notre Parti a brusquement modifié son orientation économique. Tous ses membres sont encore loin de bien comprendre les changements survenus, mais il est déjà certain que la scission espérée par nos ennemis ne se produira pas parmi nous. Elle ne se produira pas, pour cette excellente raison qu'il n'y a pas, dans la situation actuelle, d'autre issue que celle que nous avons trouvée. Nos camarades mécontents s'en rendent compte. Mais il faut que notre Parti sache, comme toujours, voir la vérité en face, qu'il ne se dissimule rien des dangers intérieurs et que persévérant dans la voie, inéluctable en période de dictature, de la légalité d'un parti unique, il sache bien les inconvénients et les risques qui s'y rattachent.

Pour finir, nous indiquerons, à son actif, que notre Parti a fait tout ce qui était en son pouvoir pour réunir les travailleurs révolutionnaires du monde dans l'Internationale Communiste, où il occupe maintenant une place dont nous sommes fiers.

Ainsi, un parti qui n'avait en avril 1917 que 80 000 membres, a pu accomplir une œuvre immense. « Sois un pionnier et un organisateur contre la bourgeoisie », tel était notre mot d'ordre en 1917. « Sois un organisateur soviétiste », tel fut notre mot d'ordre en 1917-18. « Sois un soldat rouge », dîmes-nous en 1918-19-20.

« Sois un organisateur de la production », disons-nous aujourd'hui au travailleur russe. Et nous pouvons déjà nous flatter des résultats acquis dans cet ordre d'idées.

Aussi pouvons-nous conclure qu'il n'est pas de plus noble titre que celui de membre d'un Parti Communiste et que rien ne peut nous être plus cher que l'organisation incomparable qui a déjà tant fait pour la libération de la classe ouvrière et qui contribuera à lui donner la victoire complète !


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