1940

En mai 1940, Trotsky rédige le manifeste de la IV° Internationale sur la guerre. Ce texte basé sur les principes de l'internationalisme prolétarien servira de base à l'activité trotskyste durant toute cette période et sera l'un des derniers de Trotsky avant son assasinat.


Manifeste d'alarme de la IV° Internationale

Léon Trotsky

La III° Internationale


La politique de la III° Internationale ‑ un mélange d'opportunisme grossier et d'aventurisme débridé ‑ exerce sur la classe ouvrière une influence plus démoralisante encore si possible que la politique de sa sœur aînée la II°Internationale. Le parti révolutionnaire construit toute sa politique sur la conscience de classe des ouvriers; la III° Internationale ne se préoccupe que de contaminer et d'empoisonner la conscience de classe.

La propagande officielle de chacun des camps belligérants dénonce parfois très justement les crimes du camp opposé. Goebbels dit pas mal de choses vraies sur la violence britannique en Inde. La presse anglaise et française dit beaucoup de choses pénétrantes sur la politique étrangère de Hitler et de Staline. Néanmoins, cette propagande unilatérale constitue en elle-même le pire poison chauvin. Les demi‑vérités sont le type de mensonge le plus dangereux.

Toute la propagande actuelle de l'I.C. appartient à cette catégorie. Après cinq années de honteux léchage de bottes des démocraties, quand l'ensemble du « communisme » a été réduit à un monotone réquisitoire contre les agresseurs fascistes, l'I.C. a découvert tout d'un coup à l'automne de 1939 l'impérialisme criminel des démocraties occidentales. Demi‑tour à gauche ! A partir de ce moment, pas un seul mot de condamnation de la destruction de la Tchécoslovaquie et de la Pologne, la mainmise sur le Danemark et la Norvège ni les actes répugnants de bestialité infligés par les bandes de Hitler aux peuples juif et polonais ! Hitler était devenu un végétarien épris de paix, constamment provoqué par les impérialistes occidentaux. L'alliance anglo‑française était présentée par la presse de l'I.C. comme « le bloc impérialiste contre le peuple allemand ». Goebbels [1] lui-même n'aurait rien cuisiné de meilleur ! Le parti communiste allemand en émigration brûlait de la flamme de l'amour de sa patrie. Et comme la patrie allemande n'avait pas cessé d'être fasciste, il se trouva que le parti communiste allemand avait... une position social‑fasciste [2]. Le temps était enfin venu où la théorie de Staline sur le social‑fascisme prenait chair et sang.

A première vue, la conduite des sections française et anglaise de l'Internationale communiste est apparue diamétralement opposée. Contrairement aux Allemands, elles étaient obligées d'attaquer leur propre gouvernement. Mais ce défaitisme soudain n'était pas de l'internationalisme, mais une variété déformée de patriotisme... ces messieurs considèrent que leur patrie est le Kremlin duquel dépend leur bien-être. Beaucoup de staliniens français se sont comportés avec un indéniable courage sous la persécution. Mais le contenu politique de ce courage a été souillé par le fait qu'ils enjolivaient la politique rapace du camp ennemi. Que doivent en penser les ouvriers français ?

Les internationalistes révolutionnaires ont toujours été décrits par la réaction comme les agents d'un ennemi étranger. L'I.C. a créé une situation pour ses sections française et anglaise qui fait qu'elle a fourni les bases même d'une telle accusation, poussant ainsi, de force, les ouvriers dans le camp patriotique ou les condamnant à la confusion et la passivité.

La politique du Kremlin est simple : il a vendu l'Internationale à Hitler en même temps que du pétrole et du manganèse. Mais la servilité de chien avec laquelle ces gens ont accepté d'être vendus atteste de façon irréfutable la corruption interne de L'I.C.

Ni principes, ni honneur, ni conscience : il ne reste de tout cela aux agents du Kremlin... qu'une échine souple. Mais des gens à l'échine souple n'ont encore jamais conduit de révolution.

L'amitié de Staline avec Hitler ne durera pas toujours ni même longtemps. Avant que ce manifeste ait atteint les masses, il est possible que la politique extérieure du Kremlin ait réalisé un nouveau tournant. En ce cas, le caractère de la propagande de l'I.C. changerait également. Si le Kremlin se rapproche des démocraties, l'I.C. exhumera une fois de plus de son magasin d’accessoires le Livre brun [3] sur les crimes du national‑socia­lisme. Mais cela ne veut pas dire que cette propagande aura un caractère révolutionnaire. En changeant d'étiquette elle demeu­rera aussi servile qu'auparavant. Une politique révolutionnaire exige que l'on dise avant tout aux masses la vérité. Mais I’I.C. ment systématiquement. Nous nous tournons vers les travail­leurs du monde et leurs disons : « Ne croyez pas les menteurs ! »


Notes

[1] Le Dr Joseph Goebbels (1897‑1945) était le ministre de la propagande de Hitler.

[2] Trotsky fait ici allusion à l'époque où, dans une frénésie de division, les sections de I’I.C. accusaient les partis social‑démocrates de « se fasciser » et ne parlaient plus de « social‑démocratie » mais de « social‑fascisme ».

[3] Le communiste allemand Münzenberg et ses camarades avaient composé un « Livre brun » en 1934 sur l'incendie du Reichstag, le procès de Leipzig, etc.


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