1933

Biulleten Oppositsii, n°36‑37, octobre 1933, La Vérité, 10 octobre 1933.


Œuvres - septembre 1933

Léon Trotsky

Sur le Front Unique avec Grzesinsky...

20 septembre 1933


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L'Humanité du 19 septembre reproduit la photographie de Grzesinsky [1], l'ancien chef social‑démocrate de la police de Berlin, en train de témoigner au contre‑procès de Londres sur l'affaire de l'incendie du Reichstag [2]. Il est clair que les malheureux éditeurs de L'Humanité n'ont pas réfléchi à la signification de la reproduction de cette photographie. Autrement, ils auraient démissionné tout honteux, reconnaissant qu'ils n'ont pas le droit d'avoir la responsabilité d'un journal ouvrier.

Le contre‑procès de Londres, qui tente d'établir la vérité sur l'incendie du Reichstag, est un acte de lutte politique contre le fascisme. Juges, témoins et experts se sont présentés à ce tribunal non sous la contrainte, mais pour réaliser un objectif politique défini : la lutte contre les bandes de Hitler. Grzesinsky déteste le communisme ; il l'a prouvé dans les faits puisqu'il a fait abattre des ouvriers communistes [3]. Cependant le même Grzesinsky s'est présenté volontairement au contre‑procès de Londres pour témoigner en faveur des communistes, Torgler, Dimitrov et autres, contre le fasciste Göring et compagnie [4]. En publiant le rapport du contre‑procès de Londres et en particulier la photo du témoin Grzesinsky, L'Humanité participe à un front unique avec Grzesinsky contre Göring. Est‑ce clair ?

Il y a plus de deux ans, nous écrivions que, dans la lutte contre Hitler, nous étions prêts à faire un front unique non seulement avec le diable et sa grand‑mère, mais même avec Grzesinsky [5]. Les malheureux rédacteurs de L'Humanité et des Cahiers du Bolchevisme ont fait couler des flots d'encre pour essayer de prouver notre adhésion totale au social‑fascisme. Le sort est vraiment impitoyable pour ces gens. Grzesinsky aurait pu être mort maintenant ou être passé au fascisme pour alléger un peu le fardeau des malheureux rédacteurs de L'Humanité. Mais Grzesinsky a vécu, il a émigré, il s'est présenté au procès en faveur des communistes, et, ce faisant, a obligé L'Humanité à publier sa photo en tant qu'allié dans le front unique.

Le contre‑procès de Londres, indépendamment de la modestie de sa signification politique, est néanmoins très valable. Peut‑être les lecteurs de L'Humanité — pour les rédacteurs, il n'y a plus d'espoir — vont‑ils penser qu'un front unique avec la social‑démocratie aurait dû être commencé avant et pas après la victoire d'Hitler, non au moment où communistes et social‑démocrates ont été battus et Torgler emprisonné, mais quand il existait encore une possibilité de vaincre Hitler.

Si les dirigeants du Comintern avaient connu les premières leçons de l'A B C communiste et n'avaient pas servilement répété la formule idiote de la social‑démocratie et du fascisme “ jumeaux ”, ce ne serait pas Torgler qui serait en prison, mais Göring et Hitler lui‑même. Bien plus, il est probable qu'aujourd'hui Grzesinsky aurait eu le temps de les rejoindre car le fait qu'il soit aujourd'hui obligé de participer à la lutte contre le fascisme ne le libère pas en définitive de sa responsabilité devant le tribunal prolétarien pour le meurtre des ouvriers de Berlin. Les rédacteurs de L'Humanité devront‑ils un jour comparaître devant le tribunal prolétarien pour avoir systématiquement semé la confusion dans l'esprit des travailleurs ? Ils ne peuvent espérer l'acquittement que sur la base de la formule : “ Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. ”


Notes

[1] Albert Grzesinsky (1879‑1948) était chef social‑démocrate de la police de Berlin au temps du gouvernement social‑démocrate de Prusse (dissous par Von Papen le 20 juillet 1932). Il avait émigré après la prise du pouvoir par Hitler et était l'un des dirigeants du parti social‑démocrate en exil. il avait été l'une des “ bêtes noires ” du K.P.D. dans la période précédente.

[2] Rappelons que l'incendie du Reichstag, le 27 février 1933, avait servi de prétexte aux nazis pour déclencher une féroce répression contre le K.P.D. et ses militants ; les communistes bulgares Dimitrov, Popov et Tanev, le député communiste allemand Torgler, ainsi que le chômeur hollandais Van der Lubbe, avaient été arrêtés et accusés d'avoir eux‑mêmes incendié le Reichstag. Leur procès allait commencer à Leipzig le 21 septembre. Le K.P.D., avec l'aide d'autres formations politiques en émigration, avait organisé à Londres un “ contre‑procès ”, destiné à prouver que les accusés étaient innocents et que l'incendie avait vraisemblablement été allumé par les nazis eux‑mêmes. La commission était formée de juristes, l'Anglais D. N. Pritt, le Hollandais Bakkert‑Nort, le Français Gaston Bergery, le Suédois G. Branting, l'Américain Hays, le Danois Huidt, le Français de Moro‑Giafferi et le Belge Vermeylen. Elle siégea du 14 au 18 septembre 1933 et remis son rapport le 20, concluant à l'innocence de tous les accusés à l'exception du Hollandais Van der Lubbe.

[3] Au cours des années 1925‑1932, la répression par la police aux ordres de Grzesinsky de manifestations communistes en Prusse avait fait plusieurs morts.

[4] Principal lieutenant de Hitler, Hermann Göring (1893‑1946) était ministre de l'intérieur de Prusse, le principal organisateur du procès et vraisemblablement... de l'incendie lui‑même. Ernst Torgler (1893‑1963) était chef du groupe parlementaire du K.P.D. et Gueorgui Dimitrov (1862‑1949), dirigeant du P.C. bulgare, était en mission pour l'I.C. (Note de l’édition de 1978)
Des recherches ultérieures semblent prouver que l’incendie du Reichstag était bien l’œuvre de Van der Lubbe et que les nazis n’y étaient pour rien. Ils ne feront qu’utiliser l’opportunité olitique ainsi créée. (note de l’édition de 2003).

[5] Trotsky avait utilisé cette formule à deux reprises, dans l'article “ Pour un Front unique ouvrier contre le fascisme ” et dans la brochure La Seule Voie.


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