1930

La lettre suivante, à l'origine en russe, n'a été trouvée que récemment [à la date du 18 Octobre 2017] dans les dossiers de la police sur Andres Nin, aux Archives historiques nationales de Madrid (Ministerio de gobernación, policía [histórico], h.394). Mise en ligne en anglais par 'In defense of Marxism'. Traduction MIA.


Œuvres - novembre 1930

Léon Trotsky

Lettre à A. Nin

29 novembre 1930


Cher camarade Nin,

Je m'empresse de vous écrire quelques notes supplémentaires faisant suite à ma lettre précédente, car je considère (j'espère que vous partagez ce sentiment) l'unité de nos positions et de nos actions nécessaire.

Je vous ai écrit assez longuement sur mes inquiétudes concernant le camarade Rosmer et sur la lettre que je lui ai adressée ; si vous vous souvenez, je lui ai demandé, en cas de désaccord politique, de venir me voir, étant donné l'impossibilité totale de me déplacer pour le voir. Cette lettre a été envoyée après après réception du message concernant la démission du camarade Rosmer et la suppression de son nom du journal en tant que rédacteur en chef. Dans la dernière édition (très bonne, de 6 pages), son nom est en effet absent. Mais ensuite, j'ai reçu de lui le télégramme suivant : "ni démission, ni désaccords politiques". Vous comprenez combien ce télégramme m'a satisfait.

Je dois cependant dire que je ne suis pas tout à fait sûr que ce télégramme signifie l'élimination complète de tous les malentendus. Je vous ai déjà écrit sur l'attitude très mauvaise du camarade Rosmer sur des questions plus personnelles que politiques. Rien ne peut être fait contre les sympathies ou les antipathies personnelles, qui ne doivent pas toutefois pas être placées au-dessus des considérations politiques. Malheureusement, cette question même a longtemps dépassé la sphère des relations personnelles et est devenue politique, car les camarades Rosmer, Naville et d'autres ont tenté, plusieurs mois avant la destitution de Molinier du poste de secrétaire de l'organisation parisienne, de l’évincer de la direction de la Ligue. A cette époque, ils ont subi une défaite organisationnelle, puisque la majorité s'est prononcée en faveur de Molinier. Je n'ai découvert toute cette histoire que par des voies dérobées, par le camarade Naville et d'autres qui, à ma grande surprise, ont exigé que j'intervienne personnellement contre Molinier. Pour pouvoir m'orienter, j'ai demandé les raisons politiques de cela.

La réponse que j'ai reçue était que la question était purement personnelle. Cependant, lorsque j'ai ensuite tenté de comprendre à fond et correctement tous les aspects du conflit, j'en suis venu à la conclusion que derrière les conflits personnels se cache une lutte entre deux tendances embryonnaires. La question syndicale, sur laquelle je vous écrivais la dernière fois, s'est mêlée à des conflits personnels, en ce sens que, d'une part, le camarade Gurzhe, membre du groupe de Rosmer et de Naville, a pris une position tout à fait erronée, tandis que Molinier pris la bonne position. Pour que vous compreniez bien l'affaire, je dois vous dire que Gurzhe et Molinier sont venus me rendre visite ensemble, dès mon arrivée à Constantinople. En fait, Gurzhe a parlé non seulement positivement de Molinier, mais en termes enthousiastes, comme d'un camarade loyal et désintéressé.

Au cours des derniers mois, j'ai été obligé de rappeler que dans toutes les occasions où Molinier n'était pas d'accord avec Naville ou Gurzhe, Molinier avait toujours plus raison que ses adversaires. Dans ces circonstances, je n'avais aucun motif ni aucun droit d’agir contre Molinier. J'ai donc fait des efforts pour parvenir à une conciliation, ce qui a pris beaucoup de temps. Il est regrettable que la Ligue à Paris ait officiellement ratifié « la paix de Prinkipo ». C'est pourquoi le télégramme : « ni démission ni divergences politiques », m'a plu, mais sans me rassurer complètement.

Je me suis souvenu aussi qu'une certaine partie de votre lettre m'était restée obscure. C'est-à-dire la partie même où vous parlez du retard des ouvriers espagnols et de la nécessité de les familiariser au préalable avec les idées fondamentales du communisme avant d'aborder la question de l'opposition de gauche. Cette position peut donner lieu à des malentendus. Je suis bien disposé à admettre d'avance que ces malentendus peuvent être entièrement de ma faute, c'est-à-dire qu'ils pourraient être le résultat d'un pédantisme excessif de ma part.

Je dois admettre que je ne peux pas imaginer que je pourrais donner une conférence aux ouvriers les plus arriérés sur le communisme, sans soulever simultanément la question de l'Opposition de gauche. En Espagne, cela est sûrement inévitable en raison de l'existence d'un parti officiel entouré de plusieurs groupes d'opposition : l'orateur devrait expliquer à plusieurs reprises pourquoi il appelle à soutenir un parti et pas l'autre. Dans chaque réunion ouvrière, on peut tomber sur un socialiste ou un anarcho-syndicaliste qui pointe du doigt la scission entre les communistes, ou le fait qu'en URSS des communistes sont arrêtés, que Rakovsky a été exilé en Sibérie, que Trotsky a été exilé, etc. Il n'est pas possible d'écarter ces questions avec force formules générales sur le marxisme et le communisme.

Chaque fois qu'un membre de l'Opposition de gauche essaierait de le faire sous la pression des communistes officiels ou des socialistes et anarchistes, il serait mis sur la défensive - la position la plus désavantageuse. Si je donnais une conférence sur le communisme aux travailleurs les plus arriérés d'Espagne ou d'ailleurs, je dégagerais le chemin devant moi dès le début avec une déclaration qui ressemblerait plus ou moins à ceci : « Il y a plusieurs tendances différentes dans le communisme. J'appartiens à une en particulier et je dirai comment cette tendance considère les tâches de la classe ouvrière ». Pour conclure, j'appellerais les travailleurs à rejoindre l'organisation qui soutient mon point de vue. Sans cela, la propagande et l'agitation prendraient un caractère académique, perdraient leur base organisationnelle c'est-à-dire en fin de compte aideraient nos adversaires.

Pardonnez-moi d'énoncer des choses aussi élémentaires avec tant d’insistance. Mon objectif principal a été souligné précédemment : la clarté.

Je n'ai pas reçu de réponse du traducteur allemand. J’attends une réponse de votre part.

[Salutations]

Trotski


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