1938

Le manifeste du marxisme révolutionnaire à l'époque de l'impérialisme - celle des guerres et des révolutions.


Programme de Transition

Léon Trotsky

 

L'alliance des ouvriers et des paysans

L'ouvrier agricole est, au village, le frère d'armes et l'équivalent de l'ouvrier de l'industrie. Ils constituent deux parties d'une seule et même classe. Leurs intérêts sont inséparables. Le programme des revendications transitoires des ouvriers industriels est aussi, avec tels ou tels changements, le programme du prolétariat agricole.

Les paysans (fermiers) représentent une autre classe : c'est la petite-bourgeoisie du village. La petite-bourgeoisie se compose de couches diverses, depuis les semi-prolétaires jusqu'aux exploiteurs. C'est pourquoi la tâche politique du prolétariat indutriel consiste à faire pénétrer la lutte des classes au village : c'est seulement ainsi qu'il pourra séparer ses alliés de ses ennemis.

Les particularités du développement national de chaque pays trouvent leur expression la plus aiguë dans la situation des paysans et partiellement de la petite-bourgeoisie citadine (artisans et commerçants), car ces classes, pour nombreux que soient ceux qui y appartiennent, représentent au fond des survivances de formes pré-capitalistes de production. Les sections de la IV° Internationale doivent, sous la forme la plus concrète possible, élaborer des programmes de revendications transitoires pour les paysans (fermiers) et la petite-bourgeoisie citadine, correspondant aux conditions de chaque pays. Les ouvriers avancés doivent apprendre à donner des réponses claires et concrètes aux questions de leurs futurs alliés.

Tant que le paysan reste un petit producteur "indépendant", il a besoin de crédit à bon marché, de prix accessibles pour les machines agricoles et les engrais, de conditions favorables de transport et d'une organisation honnête d'écoulement des produits agricoles. Cependant, les banques, les trusts, les négociants pillent le paysan de tous côtés. Seuls, les paysans eux-mêmes peuvent réprimer ce pillage, avec l'aide des ouvriers. Il est nécessaire qu'entrent en scène des COMITÉS DE PETITS FERMIERS qui, en commun avec les comités ouvriers et les comités d'employés de banque, doivent prendre en main le contrôle des opérations de transport, de crédit et de commerce qui intéressent l'agriculture.

Invoquant mensongèrement les exigences "excessives" des ouvriers, la grande bourgeoisie fait artificiellement de la question des PRIX DES MARCHANDISES un coin qu'elle introduit ensuite entre les ouvriers et les paysans. Le paysan, l'artisan, le petit commerçant, à la différence de l'ouvrier, de l'employé, du petit fonctionnaire, ne peut revendiquer une augmentation de salaire parallèle à l'augmentation des prix. La lutte bureaucratique officielle contre la vie chère ne sert qu'à tromper les masses. Les paysans, les artisans, les commerçants doivent cependant, en tant que consommateurs, s'immiscer activement, la main dans la main avec les ouvriers, dans la politique des prix. Aux lamentations des capitalistes sur les frais de production, de transport et de commerce, les consommateurs répondront : "Montrez-nous vos livres; nous exigeons le contrôle sur la politique des prix." Les organes de ce contrôle doivent être des COMITÉS DE SURVEILLANCE DES PRIX, formés de délégués d'usines, de syndicats, de coopératives, d'organisations de fermiers, de " petites gens " des villes, de ménagères, etc. Dans cette voie, les ouvriers sauront montrer aux paysans que la cause des prix élevés ne réside pas dans de hauts salaires, mais dans les profits démesurés des capitalistes et dans les faux frais de l'anarchie capitaliste.

Le programme de NATIONALISATION DE LA TERRE et de COLLECTIVISATION DE L'AGRICULTURE doit être élaboré de façon à exclure radicalement l'idée de l'expropriation des petits paysans ou de leur collectivisation forcée. Le paysan restera le propriétaire de son lot de terre tant qu'il le trouvera lui-même nécessaire et possible. Pour réhabiliter aux yeux des paysans le programme socialiste, il faut dénoncer impitoyablement les méthodes staliniennes de collectivisation, dictées par les intérêts de la bureaucratie et non par les intérêts des paysans et des ouvriers.

L'expropriation des expropriateurs ne signifie pas non plus la confiscation forcée de la propriété des PETITS ARTISANS et des PETITS BOUTIQUIERS. Au contraire, le contrôle ouvrier sur les banques et les trusts, à plus forte raison la nationalisation de ces entreprises, peut créer pour la petite bourgeoisie citadine des conditions de crédit, d'achat et de vente incomparablement plus favorables que sous la domination illimitée des monopoles. La dépendance envers le capital privé fera place à la dépendance envers l'État, qui sera d'autant plus attentif pour ses petits collaborateurs et agents que les travailleurs eux-mêmes tiendront plus fermement l'État dans leurs mains.

La participation pratique des paysans exploités au contrôle des divers domaines de l'économie permettra aux paysans eux-mêmes de décider sur la question de savoir s'il convient ou non de passer au travail collectif de la terre, dans quels délais et à quelle échelle. Les ouvriers de l'industrie s'engagent à apporter dans cette voie toute leur collaboration aux paysans : par l'intermédiaire des syndicats, des comités d'usine et, surtout, du gouvernement ouvrier et paysan.

L'alliance que le prolétariat propose, non pas aux "classes moyennes" en général, mais aux couches exploitées de la ville et du village, contre tous les exploiteurs, y compris les exploiteurs "moyens", ne peut être fondée sur la contrainte, mais seulement sur un accord volontaire, qui doit être consolidé dans un "pacte" spécial. Ce "pacte", c'est précisément le programme des revendications transitoires, librement accepté par les deux parties.


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