1921

Source : numéro 30 du Bulletin communiste (deuxième année), 21 juillet 1921.


Chronique internationale - Perse

Avetis Sultanzade



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La Perse est un des plus riches pays de l'Orient, mais la criminelle concurrence qui sévissait entre l'Angleterre et la Russie tsariste l'a réduite à une situation économique extrêmement pénible. Non seulement la politique coloniale de ces deux puissances arrêtait le développement de l'industrie nationale, mais l'importation des produits manufacturés à bon marché provenant de ces pays ruinait aussi les petites entreprises locales qui avaient jadis pris un grand développement.

Le résultat de cette concurrence inégale entre la production manuelle et la production industrielle fut que des centaines et des milliers d'artisans et de petits producteurs affamés, réduits à la mendicité, étaient jetés sur le pavé et condamnés à mourir de faim. Le cœur gros de malédictions, ils quittaient leur pays natal et se réfugiaient sous des deux plus cléments bien qu'étrangers : au Turkestan, au Caucase, à Bakou, en Amérique, ailleurs encore. A leur suite émigraient, chassés par l'arbitraire et l'exploitation des propriétaires fonciers et des gouverneurs du shah, des dizaines de milliers de paysans, qui, réunis aux premiers, créaient des richesses pour les pays étrangers au prix des sueurs de leur front et du sang de leurs veines. Tel est le sort de tous les pays coloniaux et semi-coloniaux.

La guerre et la révolution russe modifièrent dans une certaine mesure la situation. Les produits manufacturés de première nécessité firent bientôt défaut, ce qui suscita un renouveau d'activité des petites industries locales. Dans plusieurs secteurs de la Perse septentrionale, on se mit a fabriquer soi-même les objets les plus divers. Et même au Sud, où les Anglais continuent pourtant à importer les produits de leur industrie, les entreprises locales se développent avec succès.

C'est le petit producteur, en même temps petit propriétaire, qui entre en ligne ; il déteste du plus profond de son être le joug économique des étrangers. Tant que la grande industrie nationale n'aura pas pris un développement plus ou moins considérable, ia production locale et individuelle sera dans une opposition décidée contre le capitalisme européen.

Mais les impérialistes anglais ne s'appuient en Perse ni sur la bourgeoisie, ni sur ses petits producteurs ; ils puisent leurs forces dans la riche aristocratie des propriétaires fonciers qui sont peut-être en Orient la caste la plus immonde. Trois mille propriétaires fonciers quasi-féodaux possèdent les trois quarts des terres cultivables de notre pays. Plus de dix millions de paysans gémissent sous le joug de ces agents damnés de la bourgeoisie anglaise ; cette dernière partage largement la haine des opprimés avec ces parasites indigènes soutenus par Sa Majesté le Shah des Shahs de l'Iran.

Par suite de son retard économique, la Perse est extrêmement pauvre en forces prolétariennes ; cela est surtout vrai pour les provinces du Nord où l'on rencontre quelquefois des fabriques ou des usines possédant de 15 à 50 ouvriers, mais jamais plus. Au Sud, la situation est un peu meilleure à ce point de vue. Dans les entreprises pétrolifères qui se trouvent entre les mains du trust anglo-persan et d'autres firmes anglaises, sont employés 250 000 ouvriers dispersés en 7 ou 8 groupes principaux : celui de Souleimannieh, de Schuster, Monammera, etc...

Dans ces conditions, évidemment, le Parti Communiste de l'Iran ne peut pas devenir parti de masses et il n'essaye pas de le devenir. Il s'efforce de rallier les éléments les plus conscients de la classe paysanne, des ouvriers et des manœuvres, il les organise et les éduque selon les principes et sous le drapeau de la 3e Internationale Communiste ; parallèlement il fonde des syndicats dans les villes et des unions de travailleurs ruraux dans les campagnes.

Dans le courant de la dernière année, après le Congrès de notre Parti qui a eu lieu à Enzeli1, le 23 juin 1920, notre Comité Central, malgré des conditions d'une difficulté inouïe, a fourni un effort d'organisation vraiment colossal. Nous possédons actuellement 4 comités régionaux et un grand nombre de comités provinciaux groupant en tout 4 500 membres. L'année dernière notre contingent était quelque peu supérieur, mais par suite de la provocation d'un groupe d'aventuriers, notre propagande dans certains secteurs fut interrompue pour un temps, de même que la publication du Communiste, organe officiel de no. tre Comité Central. Les faits précités nous déterminèrent à une extrême prudence et à l'adoption de méthodes clandestines dans une plus large mesure qu'auparavant. Nous avons réussi malgré tout à grouper en syndicats des ouvriers et des manœuvres qui sont actuellement au nombre de 415 000.

Le Parti Communiste de l'Iran se rend un compte exact des conditions semi-féodales dans lesquelles il lui faut agir. Considérant l'importance réciproque des forces des classes aux prises dans ce pays où les impérialistes anglais, alliés à l'aristocratie foncière, exploitent toutes les autres catégories de la population, le Parti a fait figurer dans son programme minimum en tout premier lieu le renversement du pouvoir des shahs et des propriétaires fonciers et l'affranchissement de la Perse du joug économique et politique des bandits britanniques ; nous voulons l'instauration d'un régime qui permette de développer la propagande communiste sur une vaste échelle. Et nous sommes plus que certains que c'est le seul moyen, pour un pays aussi arriéré que l'est la Perse, de contribuer au développement de la révolution mondiale qui seule donnera aux peuples opprimés la possibilité de se délivrer définitivement de l'exploitation du capitalisme universel.

Note

1 Bandar-e Anzali.


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