1923

L'action communiste dans les syndicats en 1923...

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Les commissions syndicales

Pierre Monatte

 


Introduction

Le congrès fédéral de Bourges a reconnu aux commissions syndicales le droit d'existence. Il l'a fait au nom d'une majorité formidable de syndicats. Le contraire était impossible. Les syndiqués communistes n'ont-ils pas le même droit de s'organiser en tendance que les anarchistes ou les syndicalistes prétendus "purs" ?

Au lendemain de Bourges, après avoir conquis - presque de haute lutte - leur droit à l'existence, il reste aux commissions syndicales à l'exercer utilement et dignement.

Jusqu'ici, elles n'ont existé que sur le papier dans bien des endroits. Trop souvent, dans quelques autres, leurs adversaires leur ont prêté généreusement plus d'activité qu'elles n'en montraient réellement. Il convient qu'elles vivent, qu'elles agissent, qu'elles accomplissent les tâches qu'on attend d'elles.

En deux articles de L'Ecole émancipée , la revue hebdomadaire de la Fédération de l'enseignement, articles parus en octobre et novembre, donc avant Bourges, j'ai essayé de montrer quelles étaient ces tâches diverses. Ce sont ces articles que Dunois a estimé utile de réunir dans cette petite brochure. Il était nécessaire de le rappeler afin que le lecteur comprenne pourquoi je m'adresse directement à nos camarades instituteurs et pourquoi je fais état de leur situation syndicale particulière.

Mais ce que je disais aux syndiqués de l'enseignement vaut évidemment pour l'ensemble des syndiqués; les tâches que j'assignais aux commissions syndicales nécessitent l'effort personnel et collectif de tous les syndiqués qui ont donné leur adhésion au parti communiste, de ceux qui l'ont déjà donné comme de ceux, de plus en plus nombreux, espérons-le, qui la donneront.

A l'intérieur du parti comme à l'intérieur des syndicats, les commissions syndicales ont un travail important à accomplir. De ce travail, je n'ai tracé qu'une rapide ébauche. Il reste à en compléter le tableau. Les commissions syndicales elles-mêmes ne manqueront pas de le faire. Il faut surtout aborder ce travail, le poursuivre d'un bout à l'autre du pays dans toutes les sections communistes, dans tous les syndicats. Nous devons faire la preuve que, loin de mettre le syndicalisme en danger, les commissions syndicales ajoutent à la force du mouvement syndical.

Cette preuve, syndiqués communistes, hâtons-nous de la faire et qu'elle soit éclatante.

23 novembre 1923

I

(L'Ecole émancipée, 7 octobre 1923)

Les commissions syndicales sont en train de nous boucher l'horizon. On ne voit qu'elles, on ne parle que d'elles. Sûrement, il y a des camarades qui rêvent d'elles et qui en ont le cauchemar.

Elles sont loin, cependant, de mériter cet excès d'honneur et d'attention. D'abord parce qu'elles n'existent pas, ou si peu. Ce n'est pas leur taille ni leur ampleur qui risquent de boucher la vue. Ensuite parce qu'elles ne représentent qu'un simple problème d'organisation dont l'importance est secondaire et provisoire, parce qu'elles ne sont qu'un mince rouage dans la grande machinerie révolutionnaire.

Pour y concentrer son attention, y ramener toutes choses et juger militants et conceptions d'elles, il faut avoir vraiment fort le goût des chipotages de tendances. Il faut aussi avoir la peur de tout ce qui est nouveau. Delegarde a eu un mot juste en parlant à ce propos de "conservateurs révolutionnaires".

Surtout, nous ne savons pas voir les grandes réalités, nous ne savons pas embrasser les grands ensembles et y situer, à sa vraie place, chaque détail. Cette impuissance à voir un peu loin et à regarder la route du devenir n'est pas le lot des syndicalistes français ni d'une France aux nerfs détendus. Le réactionnaire allemand comte de Keyserling a pu écrire que "le monde est à la veille d'un bouleversement aussi formidable que celui de 1914, et il ne le sait pas ".

Nous n'aurons pas mieux prévu et ne serons pas davantage prêts qu'en 1914.

Les préoccupations ne sont pas tournées non plus vers le vigoureux effort que déploie le patronat français dans toutes les directions. Avant-hier, c'était le patronat textile qui parlait à Lille de lock-out. Hier, c'était le patronat métallurgique de la Seine qui brisait l'élan du second congrès des usines, c'était celui de Marseille qui décrétait le lock-out. Aujourd'hui, ce sont les entrepreneurs parisiens des travaux publics qui organisent le chômage artificiel en recourant à des lock-out à forme sourde.

D'un côté, une résolution orgueilleuse de lutte; de l'autre, des efforts dispersés et du désarroi dans les esprits. Le capitalisme n'est plus l'ennemi. C'est Moscou et le parti communiste. Une grande coalition antimoscovite s'est formée, qui empoisonne l'atmosphère du mouvement ouvrier.

Pour comprendre quelque chose à la situation présente très embrouillée, il faut commencer par voir deux grands faits qui bouleversent et transforment les organisations ouvrières de ce pays :

L'effort du parti communiste pour devenir un grand parti prolétarien révolutionnaire - il n'est pas cela encore, mais, il tend à le devenir, et cette tentative mérite autre chose que des sarcasmes, des insultes et la "trique" de la part de quiconque se croit sérieusement révolutionnaire.

L'effort du syndicalisme pour embrasser la grande masse ouvrière et pour la redresser vigoureusement, un grand travail pour n'avoir plus un syndicalisme sans syndiqués, incapable de vastes mouvements.

On reproche aux commissions syndicales du parti communiste de vouloir mettre la main sur le mouvement syndical, de vouloir coller un écriteau communiste sur les syndicats, les unions, les fédérations, la Confédération. En même temps, on leur adresse le reproche contraire : de vouloir pousser le syndicalisme au syndicalisme de masse, c'est-à-dire englobant la majorité des ouvriers sans souci des tendances et des opinions. Si ce dernier reproche est fondé - et il l'est -, le premier tombe. Les communistes ne peuvent pas vouloir des syndicats de communistes. Tandis qu'il est trop vrai que d'autres veulent un syndicalisme d'affinités et de secte, ce qui est proprement la négation du syndicalisme.

Les commissions syndicales auraient pu naître à un autre moment, mais elles ont commencé à naître seulement après que d'autres tendances eurent essayé de s'emparer de la CGTU et de s'en servir contre la révolution russe et contre le parti communiste. C'est le caractère de défensive tardive qu'elles ont pris dès leur naissance qui a contribué pour une bonne part à déformer et à fausser le caractère qu'elles auraient dû revêtir.

C'est ce qui explique, à mon sens, le mauvais départ des commissions syndicales. Certes, elles viennent à peine de naître et elles ont davantage fait parler d'elles qu'elles n'ont agi; mais elles n'ont pas vu les premières et principales besognes qui leur reviennent.

La première tâche des commissions syndicales doit être, au sein même du parti, de faire l'éducation des membres du parti. Ils en ont besoin.

Il faut distinguer parmi les ouvriers membres du parti quatre grandes catégories très nettes, peut-être cinq, peut-être davantage. Mais j'en vois quatre qui se dessinent très distinctement et qu'il me serait facile d'appeler chacune par des noms communs.

La première est celle des communistes nés de la guerre, qui étaient tout jeunes ou qui dormaient en 1914. La guerre les a éclairés, mais ils ne voient qu'elle et n'ont qu'un désir : sauter à la gorge de l'impérialisme fauteur de guerres. Ils sont ignorants de l'action syndicale. Ils ne voient que l'insurrection armée et donnent au parti communiste un ton blanquiste.

La seconde est celle des dégoûtés de l'action syndicale. Ils ont vécu l'échec de la grande grève de 1920; ils ont vu la CGT plus lente à sortir du bourbier de la guerre que le parti socialiste; ils trouvent que le syndicat a un derrière de plomb, un derrière corporatif qui le condamne à la politique des petits profits au détriment des grands profits de classe. Ils me font penser au KAPD allemand.

Dans la troisième, je range les vieux éléments ouvriers, réformistes et électoralistes qui étaient dans le parti parce qu'il s'occupait d'élections et de syndicat - quand ils étaient syndiqués -, constituaient l'aile réformiste. Jusqu'à Tours, les plus actifs syndicalement étaient dans la majorité de Jouhaux. La plupart ont quitté le parti, mais beaucoup sont restés par un vieil attachement à l'organisation, aussi par l'idée que le parti avait raison sur les problèmes de la guerre. Je ne veux pas parler de ceux qui sont restés uniquement parce qu'il n'y avait pas de risque à courir et qu'il y avait quelques avantages à récolter dans l'entourage des députés et conseillers municipaux communistes. Ce sont ceux-là pourtant qui permettent certaines généralisations injustes comme celle-ci : les ouvriers qui sont dans le parti sont des jaunes à l'atelier. Il y a une telle foule d'exemples qui prouvent le contraire que cette généralisation est inadmissible et injurieuse. Mais la grève des gaziers parisiens est là pour montrer que le parti communiste comptait des jaunes en son sein. Il les chasse; mais le seul fait qu'il ait à les chasser montre que le parti communiste ne constitue pas encore l'élite, l'avant-garde prolétarienne. Il est seulement en train de la former et de se former.

La quatrième catégorie, enfin, est formée des syndicalistes révolutionnaires qui étaient ou qui sont allés au parti parce que Zimmerwald , puis la III° Internationale les y ont attirés. Mais ils sont demeurés silencieux et passifs dans le parti : c'est l'attitude d'ailleurs de la grande majorité des ouvriers à l'intérieur du parti; mais eux ont gardé le mutisme des nouveaux venus; dans les occasions critiques, ils ont étayé la résistance de la gauche, comme dans la crise Frossard , mais ils ne participent pas à la vie intérieure du parti; ils n'arrivent pas à s'y regarder comme chez eux. C'est pourtant à cette condition-là que le parti communiste français deviendra effectivement prolétarien.

Il y a donc dans le parti toute une propagande à faire pour qu'un ouvrier membre du parti soit syndiqué obligatoirement. Quelqu'un me parlait récemment de sections où sur cinquante membres ouvriers, moins de vingt seulement étaient syndiqués. Il y a en outre toute une éducation à faire pour que l'ouvrier membre du parti soit non seulement un cotisant passif, mais à la pointe du combat à l'usine, à l'atelier, au syndicat.

Le parti ne pourra se targuer d'être formé de l'élite prolétarienne, de constituer la véritable avant-garde, que le jour où il aura appris l'importance de l'action syndicale à ses éléments nés de la guerre, où il aura guéri de leur dégoût les dégoûtés de l'action syndicale, où il aura repassé au creuset les vieux restes du réformisme d'autrefois, où les syndicalistes communistes chez lui se sentiront chez eux. Cela, les commissions syndicales peuvent seules le donner.

Dira-t-on que ce sera là une œuvre saine et dont le syndicalisme ne tirera aucun bénéfice ? Impossible. En faisant cela en son sein le parti communiste préparera au mouvement syndical des militants avertis et des hommes d'action.

Mais il ne s'agit pas de cela, me diront quelques camarades : il s'agit non pas de ce que le parti peut faire dans son domaine, auprès de ses membres, mais de ce qu'il fait hors de son domaine, dans le champs syndical proprement dit.

Erreur. Il s'agit de ceci et de cela. N'est-on pas allé jusqu'à contester au parti le droit d'appeler syndicales des commissions de syndiqués membres du parti, de s'occuper chez lui de questions syndicales, d'avoir sur elles un point de vue et de l'exprimer ? Pour un peu, c'est à ses adversaires que le parti communiste devrait demander ce qu'il lui est permis ou interdit d'étudier et de faire chez lui, dans sa propre maison. L'autonomie est ainsi comprise !

Cette première tâche faite à l'intérieur du parti, les commissions syndicales en ont une seconde à faire au-dehors, dans les syndicats. Je ne crois pas qu'elle ait toujours été bien comprise non plus. Mais ce dont je suis bien sûr c'est que les critiques de Frossard, des GSR [1] , du Comité de défense syndicaliste n'ont aucun fondement sérieux. Le péril imaginaire des commissions syndicales, dressé par quelques manœuvriers habiles, utilisant des préventions de camarades abusés, n'a d'autre objet que de masquer une opération de grand style contre Moscou, symbole de la révolution. C'est ce que j'essaierai de montrer en examinant ce que les commissions syndicales peuvent et doivent faire en dehors du parti.

II

(L'Ecole émancipée, 4 novembre 1923)

Nous avons vu la tâche importante que les commissions syndicales avaient à accomplir à l'intérieur du parti, à l'égard des ouvriers membres du parti, c'est-à-dire de l'immense majorité des membres du parti. Voyons maintenant quelle tâche revient aux commissions syndicales à l'intérieur des organisations syndicales.

Cette deuxième tâche, je l'ai déjà dit, n'a pas toujours été bien comprise. Des fautes ont été certainement commises. Mais leurs adversaires en ont commis, non moins certainement, de beaucoup plus lourdes. Si je relève celles que mes camarades de la tendance communiste ont commises, c'est afin de leur demander d'y réfléchir pour n'y plus retomber, afin de consacrer leur temps à faire la besogne qui leur revient au lieu de le perdre à guerroyer constamment contre les autres tendances.

Les commissions syndicales, il faut le répéter sans cesse, ont été obligées de faire tout d'abord une action défensive . Ce n'est pas elles qui ont cherché à fausser le caractère de la CGTU, à dresser celle-ci contre la révolution russe et contre les conceptions communistes. C'est la première Commission administrative provisoire qui a essayé de mettre une enseigne anarchiste au-dessus de la porte CGTU et qui a créé à l'intérieur de la maison, pendant une période, une atmosphère irrespirable pour tout syndiqué d'une autre tendance. Ce ne sont pas les commissions syndicales qui ont manœuvré pour s'emparer par surprise des postes confédéraux, fédéraux et syndicaux importants. C'est le Pacte [2] ; depuis la publication de sa déclaration, nul ne peut le contester.

Tout cela demande à ne pas être perdu de vue. Les commissions syndicales ne sont venues qu'ensuite; elles n'ont même guère fait jusqu'à présent que se défendre contre les survivances du Pacte et contre les manœuvres des vaincus de Saint-Étienne.

De là cette attention donnée aux désignations de fonctionnaires syndicaux, ce qui a permis de craindre que les méthodes électorales ne soient transportées sur le terrain syndical. Mais, en ce cas même, la lutte a été publique; une tendance organisée - plus ou moins organisée - a présenté au choix des syndiqués des listes de candidats. Il n'y a eu ni surprise ni cation souterraine et franc-maçonnique.

Cette préoccupation trop exclusive a faussé le rôle des commissions syndicales. Elles n'ont pas à conquérir des postes syndicaux et à y installer des syndiqués communistes, mais à conquérir à leurs conceptions la masse des syndiqués. Trop souvent on a conquis des postes pour n'y pas faire plus de travail ou de meilleur travail qu'il n'y en était fait avant. Quelquefois, on a dormi sur ses lauriers. D'autres fois on s'est laissé reprendre la position conquise à la faveur d'une assemblée.

Pour trop de militants, les communistes comme les autres, les assemblées, les congrès paraissent constituer l'essentiel de la vie syndicale. La véritable activité, pourtant, se déroule ailleurs, dans la lutte contre le patronat, à l'usine, au chantier . Une décision d'assemblée n'est qu'un programme d'action qu'il importe de mettre en application. Pas de travail journalier d'application équivaut à la stérilité et à l'inaction.

Il n'est que trop vrai que les assemblées syndicales ont été accaparées par les débats entre tendances sur l'orientation. Ces débats, les communistes les ont plus souvent acceptés que suscités. Je me souviens d'un temps où il n'était pas possible de tenir la moindre réunion sans qu'un homme du Pacte vînt dire tout de suite : "Il faut se situer…" Et l'on se situait interminablement. Ce temps a disparu. Ainsi accaparées, les assemblées syndicales n'ont pu examiner et faire leur travail propre. Le devoir des communistes est précisément de ne pas se prêter à ce sabotage des organismes syndicaux et de rappeler, chaque fois, qu'il y a autre chose à faire. Trop longtemps ils s'y sont prêtés, par crainte de paraître fuir la discussion.

Peut-être aussi avaient-ils quelque goût à ces discussions d'ordre théorique et n'apercevaient-ils pas toute la valeur de l'action syndicale quotidienne, modeste, monotone, terre à terre. Ils n'étaient pas seuls, hélas !

Les commissions syndicales ont mieux à faire qu'à poursuivre cette action défensive, elles doivent prouver par l'exemple que l'organisation de leur tendance ajoute à la force de 'organisation syndicale . Elles doivent être, ai-je dit, un cercle d'études des syndiqués communistes et un groupe d'hommes d'action.

La nécessité de tels cercles d'études à côté du syndicat me paraît plus criante que jamais. Dans une récente circulaire de la Librairie du Travail, Hasfeld raconte cette anecdote : quelques mois après la publication des résolutions du IIe congrès de l'ISR, un militant se présente à la Librairie et dit : " Depuis le temps que j'en parle, il serait pourtant bon que je les lise !" Ce militant était contre sans les avoir lues. "Malheureusement, conclut Hasfeld, beaucoup sont pour sans les avoir lues davantage, sans savoir à quoi ils s'engagent. Quand on pense que cinq cents exemplaires seulement de ces résolutions sont en circulation, alors que les militants de plusieurs milliers de syndicats discutent âprement à leur sujet, on est légitimement effrayé. On comprend que cette discussion est d'autant plus passionnée qu'elle est superficielle, et que rien d'utile ne s'en peut dégager. Toute l'expérience ouvrière internationale recueillie, condensée là, est ignorée, négligée, perdue. Les commissions syndicales feront travail utile en obligeant les militants qui sont pour ces résolutions à les connaître et à s'en nourrir; leur force de propagande syndicale en sera décuplée."

Combien d'autres problèmes ne sont pas moins ignorés, malgré toutes les discussions qu'ils ont provoquées ! Une multitude de cercles d'études travaillant sur le contrôle ouvrier, sur les assurances sociales, sur les problèmes généraux comme sur les problèmes spéciaux à chaque industrie feront une besogne point négligeable. Le résultat de ce travail sera apporté au syndicat, qui ressemble trop souvent à un moulin tournant à vide. Nul n'empêche les autres tendances d'apporter pareil travail. Les communistes réclament simplement le droit d'apporter le leur. Les syndiqués examineront les diverses solutions : ils choisiront celles qui leur paraîtront les meilleures; ils les amalgameront peut-être. Peu importe : ce qu'il faut, c'est créer une vie intellectuelle active dans les syndicats , appliquée à tous les problèmes qui s'y posent.

Ce n'est pas tout. Depuis la guerre, on peut constater que la violence ouvrière a cédé le pas à la violence bourgeoise. Les méthodes anciennes de sabotage, de boycottage sont comme rouillées, faute d'hommes pour les appliquer. Si les communistes se disent hommes d'action, il leur reste à en faire la preuve en fournissant à l'action syndicale l'appoint de force qui lui a manqué ces dernières années et qui a permis au patronat de remporter tant de victoires partielles.

Cercles d'études et groupements d'action, les commissions syndicales doivent rendre au mouvement syndical de signalés services.

Quelques camarades de l'enseignement, qui furent cependant parmi les plus actifs militants des CSR [3] les regardent avec quelque frayeur. Rassurez-vous, mes amis! Les commissions syndicales peuvent rendre à votre fédération les mêmes services qu'aux autres. Combien de départements n'ont pas encore de syndicat de l'enseignement ? Une quarantaine au moins, et dans le nombre certains à très forte population industrielle. Le jour où les commissions syndicales existeront dans chaque département, où elles fonctionneront effectivement, où le recensement des membres du parti sera fait par professions, où le parti dira à ceux de ses membres instituteurs qu'ils ont le devoir d'être syndiqués, et non des syndiqués passifs, mais des syndiqués comprenant l'importance de l'action syndicale, on découvrira que, sur une quarantaine de départements n'ayant pas de syndicat, il en est au moins une vingtaine dans lesquels un syndicat peut être immédiatement constitué. On découvrira que des instituteurs communistes sont dans les rangs du syndicat Glay, sans rien y faire pour y propager nos conceptions révolutionnaires communes et vous tendre la main.

Ces éléments, me direz-vous, devraient avoir eu l'initiative de venir d'eux-mêmes. Vous aurez raison, mais le parti, en imposant à ses membres syndicables l'obligation d'être syndiqués, mais les commissions syndicales, en les dirigeant vers nous, n'auront pas tort. Elles auront secondé votre propagande de recrutement et accru votre force. En demandant à ceux qui sont chez Glay d'agir en accord avec vous, elles auront étendu votre zone d'influence. N'ayez point peur des commissions syndicales, ne les combattez pas. Réjouissez-vous au contraire qu'elles soient en voie de création. Et demandez aux autres tendances de vous apporter le même concours.

Fort bien, tout cela ! Mais il n'empêche que le parti communiste entend mettre la main sur les syndicats et qu'il oblige ses adhérents à préparer cette mainmise, sur l'ordre de l'Internationale communiste…

L'Internationale communiste veut bien autre chose; elle veut d'abord que sa section française subisse une mainmise : celle des ouvriers révolutionnaires; toutes ses décisions depuis le congrès de Tours tendent à cela : vider le parti français de son esprit électoraliste pour le remplir d'esprit prolétarien. Elle n'a pas trop mal travaillé; mais le résultat ne sera atteint que par l'entrée au parti de tous les militants ouvriers qui ont conscience des nécessités de la lutte révolutionnaire , qui savent quel long et formidable effort réclame la révolution sociale. Au fur et à mesure que le Parti communiste français deviendra un véritable parti communiste, l'héritage de préventions légitimes provoquées par les anciens partis socialistes diminuera, les points de friction entre parti et syndicats deviendront plus rares.

C'est cette régénérescence du parti français, voulue par l'Internationale communiste, qui a amené certains hommes, comme Frossard, à se dresser par tous les moyens contre Moscou. Dans sa lettre de démission du secrétariat du parti, il prophétisait une tempête dans les milieux syndicaux. Cette tempête, il a tout fait pour la susciter; il a construit le péril imaginaire des commissions syndicales. Il a feint d'oublier que la première circulaire préconisant leur constitution était signée de son nom et écrite de sa main, que la première réunion des délégués communistes à un congrès syndical fut convoquée par lui à Saint-Étienne.

Il ne fait pas de doute qu'entre ses mains les commissions syndicales auraient été les servantes du parti. Pour sa politique particulière, n'a-t-il pas utilisé ses amis de la commission provisoire de la CGTU pour faire prndre par celle-ci une résolution hostile au front unique à la veille d'un conseil national du parti où lui-même devait combattre le front unique ? Au moment du congrès de Paris, n'a-t-il pas manœuvré les militants de la CGTU, afin que leur délégation au congrès de l'ISR revînt bras dessus, bras dessous avec l'équipe des futurs "résistants", après avoir là-bas fait claquer les portes ?

Frossard ne pardonne pas aux militants de la majorité confédérale d'avoir placé l'ISR, la révolution russe, la révolution tout court au-dessus de ses petites habiletés. De là ses efforts pour rassembler toutes les fractions de l'opposition de la CGTU. Malheureusement pour lui, il a démasqué trop vite son absence de souci de l'intérêt du mouvement. Il a parlé de scission; il y a poussé. Là sa manœuvre s'est brisée.

Naturellement, il a exploité ou fait exploiter quelques cas particuliers, déformés à souhait. L'Egalité a été pleine de l'affaire de périgueux, des affaires Lauridan, Costel, etc.

Sur chacune de ces affaires, il est facile de répondre. Je ne veux retenir que l'affaire Costel. Tant que les maires de la banlieue parisienne sont restés au parti, les militants des municipaux et des communaux de la Seine ont appartenu à la majorité confédérale. Du jour où leurs maires sont passés à la dissidence où à la résistance, ils sont passés à la minorité confédérale. Costel, qui avait accepté d'être secrétaire de la commission syndicale des services publics, ne s'en est découvert l'adversaire qu'à ce moment-là. De grâce, qu'on nous serve de meilleurs champions du syndicalisme "pur" !

Je sais que dans les diverses fractions de l'opposition de la CGTU il n'y a pas que des "résistants", mais c'est eux qui ont entrepris la grande coalition antimoscovite et mobilisé contre les commissions syndicales les pires politiciens et les plus acharnés antipoliticiens. Cette coalition est fragile; déjà les paroles de scission de Frossard lui avaient porté un coup, la "dictature de la trique" et les menaces de 18 brumaire syndical lui en ont porté un second : le congrès de Bourges risque fort de lui porter le coup final.


Notes

[1] "Groupements syndicalistes révolutionnaires" de Lartigue, Cazals, Marie Guillot. Ils combattent au sein de la CGTU l'influence communiste et ont pris parti contre les commissions syndicales. A la différence du Comité de défense syndicaliste, dont l'influence domine à la Fédération unitaire du bâtiment, ils ne demandent pas la rupture avec l'ISR, mais que la CGTU revienne à la stricte observance de la charte d'Amiens (1906) et de la motion interprétative de cette charte votée par le congrès de Saint-Étienne (1922).

[2] Le Pacte , constitué au moment du procès du premier complot (1921) par Verdier et Besnard, était une organisation occulte, formée de deux ou trois douzaines de militants syndicaux de Paris et de province, dans le but de mettre la main sur les CSR et sur les principales fonctions confédérales, fédérales et syndicales. Le texte du règlement franc-maçonnique du Pacte fut publié dans La Bataille syndicaliste à la veille du congrès de Saint-Étienne.

[3] Les CSR (comités syndicalistes révolutionnaires) furent l'organisation que se donna la minorité révolutionnaire pour sa lutte à l'intérieur de la CGT, du congrès d'Orléans (octobre 1920) au congrès unitaire (décembre 1921); ils faisaient suite au Comité des syndicats minoritaires. Ils englobèrent dans une même et souple organisation toutes les tendances révolutionnaires de la CGT.


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