1972

Place décisive de la lutte a l'intérieur des syndicats dans la préparation de la révolution prolétarienne, pour la cons­truction du Parti Révolution­naire.


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Préface à "Les syndicats à l'époque de la décadence impérialiste"

Stéphane Just

15 juillet 1972


Table des matières

La période du capitalisme pourrissant et de la révolution prolétarienne
« Néo-théoriciens » , « néo-capitalisme » et « néo-syndicalisme »
Tentative et échec de l'intégration à froid des syndicats à l'Etat
La classe ouvrière, les syndicats et les appareils syndicaux
La nouvelle période révolutionnaire
La bourgeoisie et les appareils ne renoncent pas
Les syndicats et les formes soviétiques d'organisation
Syndicats et parti révolutionnaire

Les Syndicats à l'époque de la décadence impérialiste constitue un ensemble de notes beaucoup plus qu'un texte achevé. Trotsky entendait en faire un article et peut-être une brochure. Assassiné par l'agent de la Guépéou Jack Mornard, il ne put mener ce travail à son terme. Mais, bien qu'à l'état de notes, ce texte est indispensable à la définition de la politique du prolé­tariat, la politique révolutionnaire, à l'époque du capitalisme pour­rissant, l'impérialisme.

Trotsky ne spéculait pas, il analysait une expérience qui recou­vrait plusieurs décennies, et qui s'étendait des années qui précèdent la première guerre impérialiste à celle de la Seconde Guerre mondiale. Ces années ont été d'une importance capitale puisqu'elles furent celles où le caractère de l'impérialisme “ réaction sur toute la ligne ” se manifesta par l'éclatement de la première guerre impérialiste mondiale ; celles de l'ouverture de la révolution prolétarienne mondiale avec la victoire de la révolution russe. Ce furent aussi les années des dures défaites du prolétariat en Allemagne, en Hongrie, en Italie et dans de multiples pays d'Europe, entre 1918 et 1924 ; de la défaite de la grève générale anglaise en 1926 ; de la deuxième révolution chinoise et de sa défaite ; celles de la victoire du fascisme en Italie, en Allemagne ; et, après une nouvelle flambée révolutionnaire en France et surtout en Espagne, celles de la victoire de Franco. Elles se terminèrent par la 2° guerre impérialiste mondiale, seule “ solution ” capitaliste à la crise mondiale, lorsque le prolétariat fut battu dans les principaux pays capitalistes d'Europe. Ces années furent également celles de la dégénérescence de la révolution russe, du parti bolchevique, de la III° Internationale, de la formation de la bureaucratie du Kremlin et de son appareil international.

La place des syndicats, la politique des appareils syndicaux, leurs rapports avec l'Etat bourgeois, d'un côté, et le prolétariat, de l'autre, sont analysés en relation avec la crise générale du système capitaliste, les contradictions sans issue de l'impérialisme, et la lutte des classes mondiale qui met aux prises le mouvement du prolétariat s'orientant vers la révolution prolétarienne et la contre-révolution bourgeoise sous toutes ses formes. C'est ainsi que, se référant aussi bien à l'expérience des syndicats dirigés par les réformistes, tant en France qu'en Angleterre et en Amérique, qu'à celle des syndicats dirigés par les anarcho-syndicalistes en Espagne, Trotsky aboutit à une seule et même conclusion :

“ Le capitalisme monopolisateur est de moins en moins prêt à se réconcilier avec l'indépendance des syndicats. Il réclame de la bureaucratie réformiste et de l'aristocratie ouvrière, qui ramassent les miettes de sa table, qu'elles soient toutes les deux transformées en sa police politique aux yeux de la classe ouvrière.

Si cela ne se réalise pas, la bureaucratie travailliste est supprimée et remplacée par les fascistes. Alors tous les efforts de l'aristocratie travailliste, au service de l'impérialisme, ne peuvent la sauver de la destruction. ”

Conclusion qui dans son essence s'appliquait également aux pays économiquement arriérés.

Trotsky qui vivait au Mexique suivait avec une particulière attention le développement de la “ lutte anti-impérialiste ” de la bourgeoisie mexicaine sous la direction de Cardenas et il caractérisait ainsi la participation des directions syndicales à la gestion des chemins de fer et des champs de pétrole qui venaient d'être nationalisés :

“ C'est une mesure de capitalisme d'Etat dans un pays arriéré qui cherche à se défendre de cette façon, d'une part, contre l'impérialisme étranger et, d'autre part, contre son, propre prolétariat. La gestion des chemins de fer et des champs de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières n'a rien de commun avec le contrôle ouvrier sur l'industrie, car en fin de compte la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière, qui est indépendante des travailleurs, mais en retour complètement sous la dépendance de l'Etat bourgeois. Cette mesure de la classe dirigeante vise à discipliner la classe ouvrière et à la faire travailler davantage au service des intérêts communs de l'Etat qui semblent se confondre avec les intérêts de la classe ouvrière elle-même. En réalité, toute la tâche de la bourgeoisie consiste à liquider les syndicats en tant qu'organes de la lutte des classes et à les remplacer par la bureaucratie syndicale comme organe de la direction de l'Etat bourgeois sur les ouvriers. ”

La bourgeoisie mexicaine qui tentait de desserrer l'étreinte de l'impérialisme restait néanmoins une composante de la bourgeoisie mondiale. L'économie mexicaine demeurait intégrée au mode de production capitaliste dans sa phase décadente, l'impérialisme, et, bien que de façon spécifique, la bourgeoisie tentât de détruire les syndicats en tant qu'organes de la classe ouvrière, de les transformer en organes de contrôle de la classe ouvrière subordonnée au pouvoir, à l'Etat bourgeois.

Que la bourgeoisie s'efforçât de se subordonner la classe ouvrière, de détruire les organisations syndicales comme organismes élémentaires de classe du prolétariat, cela procédait de la nature de la période historique, celle de l'impérialisme, stade suprême du capitalisme pourrissant, incapable de développer les forces productives, période qui est également, et pour cette raison, celle des guerres et des révolutions, celle de la révolution prolétarienne mondiale.

Ces efforts de la bourgeoisie, visant à se subordonner la classe ouvrière et à détruire ses organisations syndicales, se manifestaient aussi bien dans les pays capitalistes avancés que dans les pays économiquement arriérés, sous la coupe du capitalisme, même si c'était sous des formes particulières en chaque cas, en fonction des relations sociales et politiques propres à chaque pays, en fonction aussi de sa place dans l'économie et dans la lutte des classes mondiale.

Au cours des vingt-cinq années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la décomposition du mode de production capitaliste s'est considérablement développée ; la gangrène a atteint le cœur du système impérialiste mondial, les U.S.A.. Ce fut cependant dans des conditions particulières : l'Etat bourgeois américain fut capable de mobiliser d'immenses ressources qui lui permirent d'éviter dans l'immédiat et dans l'après-guerre l'effondrement des vieilles puis­sances impérialistes d'Europe. Ces efforts furent à l'origine d'une nouvelle division internationale du travail, de la reconstitution d'un marché mondial. Il n'en fallut pas plus pour que surgissent de « néo-­théoriciens » qui conclurent à la naissance d'un « néo-capitalisme ». Parmi ceux-ci, au premier rang, bien sûr, les renégats à la IV° Inter­nationale, qui opèrent sous l'étiquette du Secrétariat Unifié de la IV° Internationale. Ils accomplissaient de multiples prouesses théo­riques et politiques. Mis à part le coup de chapeau obligatoire à « l'œuvre de Trotsky » les renégats à la IV° Internationale se devaient d'élaborer de nouvelles théories sur « les syndicats à l'époque du «  néo-capitalisme »  et du « développement sans limites des forces productives ». Ce qu'ils firent :

« L'objectif essentiel de la bourgeoisie est la stabilité, « la paix sociale ». En même temps qu'elle cherche à rendre le pouvoir central de moins en moins sensible aux à-coups sociaux (tendance à l’Etat fort) elle est prête à céder quelques avantages à la classe ouvrière (augmentation des salaires, diminution du temps de travail) à condition qu'ils soient prévus, planifiés. Suivant les colorations, cela s'appelle politique des revenus, participation, juste répartition des fruits du travail, mais cela vise essentiellement à une chose : éviter les chocs, les augmentations de salaires « trop importantes », les arrêts de travail « intempestifs », tout ce qui peut déséquilibrer les prévisions.

Tel est le sens de la politique d'intégration du mouvement syndical, tentée avec plus ou moins de succès par toutes les bourgeoisies européennes depuis vingt ans. Afin d'obtenir la paix sociale, elles cherchent à négocier avec les organisations syndicales reconnues par les travailleurs, elles acceptent de leur céder un certain nombre d'avantages qu'elles prévoient, les syndicats s'engageant à ne pas déclencher de mouvement « inconsidérés » pouvant paralyser la production et rentrer en conflit avec les plans capitalistes. » 

(Résolution du I° Congrès de la Ligue communiste. Cahiers Rouges n° 10-11, page 108).

En d'autres termes : le « néo-capitalisme » a résolu « presque » totalement les contradictions du mode de production capitaliste. Il assure le développement planifié des forces productives, bien qu'encore incomplètement. Pour y parvenir totalement, il lui faut planifier le développement de la force productive essentielle, le prolétariat. C'est l'objectif de la « politique des revenus » et « ... tel est le sens de la politique d'intégration des syndicats à l'Etat ». S'il en était ainsi, la contradiction fondamentale dont dérivent toutes les autres - l'appropriation privée des moyens de production et le caractère social de la production, l'antagonisme irréductible entre le capital et la force de travail - serait en voie d'être résolue. Aucun doute ne serait possible, la bourgeoisie parviendrait à ses fins : associer les syndicats au développement des forces productives, et ce sans avoir à les détruire. Ce serait une nouvelle période de collaboration de classes qui s'ouvrirait mais qui, toutefois, serait infiniment plus stable et plus ample que celle qui vit naître l'aristocratie ouvrière et l'adaptation des appareils syndicaux à leurs bourgeoisies nationales à la période d ’essor de l’impérialisme dans les pays capitalistes dominants.

Les théoriciens du « néo-capitalisme » ont éliminé de leurs analyses des données pourtant essentielles. La « prospérité » du mode de production capitaliste a été précédée par près de 40 années de guerres impérialistes, de crises, par d'immenses destructions de forces productives. Elle est fondée sur le plus gigantesque parasi­tisme qui puisse se concevoir : l'économie d'armement impulsée par l'impérialisme américain. A la veille et au cours de la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir d'achat, les conditions de vie des tra­vailleurs des principaux pays capitalistes d'Europe ont été massive­ment amputés, jusqu'à toucher au point zéro en Allemagne. Il fallut au prolétariat de certains pays plus de quinze ans pour reconquérir une situation économique égale à celle de l'avant­-guerre - ce qui donna une grande marge de manœuvre au capital.

Ces théoriciens, avec non moins de résolution, ont également passé sous silence les rapports complexes entre les classes et à l'inté­rieur de celles-ci au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La puissance du prolétariat s'est alors manifesté par l'effondrement de pans entiers du système impérialiste mondial - la transformation des rapports sociaux de production en Yougoslavie et en Chine et la reconstitution d'organisations ouvrières syndicales et politiques d'une puissance inégalée jusqu'alors dans les pays capitalistes économiquement développés. La bourgeoisie ne pouvait, sans d'énormes risques, engager une bataille frontale contre le prolétariat et ses organisations, notamment dans ces pays, car la contre-révolution y eût aiguillonné la révolution. Mais en même temps, en raison des conditions du déroulement de la 2° guerre impérialiste, la bureaucratie du Kremlin et son appareil international avaient acquis un énorme prestige, sans aucun doute au détriment du prolétariat soviétique, prestige qui leur permit pourtant de contrôler le mouvement ouvrier, les syndicats de pays capitalistes décisifs du point de vue de la lutte des classes mondiale. Ailleurs au contraire, comme en Allemagne, la politique stalinienne renforçait l'emprise sociale-démocrate en l'absence d'autres pers­pectives. Ailleurs encore, elle barrait toute issue propre au prolé­tariat et, dans de nombreux pays économiquement arriérés, elle laissait la place libre aux directions petites-bourgeoises. C'est cet ensemble de relations entre les classes et à l'intérieur des classes qui explique pourquoi et comment les organisations syndicales n'ont pas, tout au moins dans les pays capitalistes économiquement avancés, été intégrées à l'Etat et détruites comme organisations élémentaires de la classe ouvrière. Les appareils syndicaux ont cependant collaboré étroitement avec les Etats et les gouvernements bourgeois, mais d'une façon beaucoup plus proche de la collaboration de classes « clas­sique » que de la transformation des syndicats en rouages purs et simples de l'Etat bourgeois. Encore convient-il de souligner que, dans de nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine, d'Asie, les syndicats sont sous la coupe directe des directions bourgeoises et petites­-bourgeoises qui les ont soumis à l'appareil d'Etat ; et même dans les pays économiquement développés, comme en Allemagne de l'Ouest par exemple, la tendance à l'intégration des syndicats à l'Etat est fortement marquée.

Mais une fois encore, comme aimait à le dire Trotsky, le chant de la chouette s'élève au crépuscule : les renégats à la IV° Internatio­nale théorisent leur politique au moment où s'épuise le relatif équi­libre qui a suivi la guerre. Le parasitisme de l'économie d'armement se manifeste par l'instabilité du système monétaire, croissante depuis les premières années 1960. La nécessité, du point de vue du capital, de domestiquer étroitement les syndicats se fait pressante, et, au cours des années 1960, les gouvernements anglais, français, allemand, italien, etc., se sont efforcés d'y parvenir. C'est ce que signifiaient « la politique des revenus », la « participation », les lois « régle­mentant » les droits syndicaux et le droit de grève. Que cette politique ait jusqu'à présent échoué est une autre affaire. Il est certain, en tout cas, que les renégats à la IV° Internationale n'ont aucune res­ponsabilité dans cet échec. N'écrivaient-ils pas et ne disaient-ils pas, à ceux qui voulaient les entendre, que la classe ouvrière se « contre-foutait » spontanément du référendum du 27 avril 1969..., qui la concernait si peu et qu’elle comprenait mal ? N'appelaient-ils pas au boycott d'un référendum qui portait sur l'intégration des syn­dicats à l'Etat bourgeois ? Mais qu'importe à des gens qui ne font pas de différence entre la simple collaboration de classes et l'intégration des syndicats à l'Etat bourgeois ? Qu’importe à des gens qui comprennent si peu ce que signifie la nature et l'origine de classe des syndicats, qui se font les hérauts de la C.F.D.T. dont l'orientation est tout simplement l’application, en des circonstances déterminées, de la « doctrine sociale de l'Eglise » : le corporatisme sous la nouvelle étiquette de « l'autogestion » !

La crise conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin s'est affirmée au cours des années 1960. L'impérialisme ­américain ne pouvait plus supporter seul et à bout de bras l'économie mondiale et le système impérialiste. La crise du dollar s’annonçait. La concurrence internationale renaissait. De plus en plus s'af­firmait la tendance à reléguer à leur juste place les vieilles puis­sances impérialistes décadentes d'Europe. Le Marché commun se révélait être un champ d'affrontement économique qui ne proté­geait même pas ses agents de la pénétration des capitaux améri­cains. En retour, les vieilles puissances impérialistes d'Europe tentaient de forcer les barrages dressés en U.R.S.S. et dans les pays de l'Europe de l'Est contre la libre pénétration des capitaux et des marchandises. Les plus compétitifs d'entre eux, principalement l'Allemagne de l'Ouest, étendaient jusqu’aux U.S.A. leur pénétra­tion du marché mondial, mais ils se heurtaient de plus en plus à la redoutable concurrence de l'impérialisme japonais renaissant qui pénétrait tous les marchés, dont le marché américain. Conjointement, la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites se heurtaient à d'insolubles problèmes nés de la gestion bureaucratique de l'économie planifiée, du parasitisme, des distorsions que cette gestion développe, de l'impasse de la « construction du socialisme (une économie se suffisant à elle-même) dans chaque pays ». Il leur fallait tenter de résoudre ces contradictions : ce fut l'objet des réformes de la planification. Mais la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites ne pouvaient, et ne peuvent, avoir recours aux seules solutions qui permettraient le développement harmonieux des forces productives en U.R.S.S. et dans les pays de l'Europe de l'Est : l'élaboration du plan et sa réalisation sous le contrôle des travailleurs. La bureaucratie du Kremlin ne pouvait réaliser l'intégration de l'économie de l'U.R.S.S. et des pays de l'Europe de l'Est dans la division européenne et mondiale du travail sur des bases socialistes par la victoire de la révolution prolétarienne détruisant en ses bastions l'impérialisme : elle ne pouvait, par l'éclatement des barrières nationales, constituer, notamment sur cette base, des Etats-Unis socialistes d'Europe. Les « solutions » des bureaucraties parasitaires ne pouvaient être que bourgeoises, c'est-à-­dire recourir à la concurrence et aux lois du marché, tenter d'intégrer au marché mondial capitaliste l'économie de l'U.R.S.S. et des pays de l'Est de l'Europe. Le remède aggravait le mal et accroissait les antagonismes sociaux. Il était un nouveau facteur qui accélérait la crise du stalinisme et de son appareil international. En effet, au sommet de sa puissance politique, au lendemain de la guerre, la bureaucratie du Kremlin et son appareil international menaçaient bientôt de se disloquer : la révolution chinoise triom­phait contre la volonté de Staline ; Tito et le P.C.Y refusaient de se subordonner au Kremlin et rompaient avec lui en 1948 ; la bu­reaucratie du Kremlin ne parvenait à comprimer les forces centri­fuges et les contradictions sociales en Europe de l'Est qu'au prix de sanglantes purges dont de tragiques procès étaient les aspects specta­culaires ; la guerre froide tendait à rompre ces contradictions.

A la mort de Staline, la bureaucratie du Kremlin s’efforça de détendre les contradictions les plus explosives. Mais par les brèches ouvertes le prolétariat allait surgir et engager le combat ouvert contre les bureaucraties parasitaires, en juin 1953 en Allemagne de l'Est d'abord, en Pologne ensuite au cours de l'année 1966, en Hongrie enfin où la révolution des conseils ouvriers éclatait en novembre 1956. La révolution politique cessait d'être un article de programme, elle était la brûlante réalité politique, toujours présente, se préparant au grand jour ou obscurément dans les profondeurs sociales, mais à laquelle ne devaient cesser de se heurter les bureau­craties parasitaires. La crise de la bureaucraties du Kremlin et de son appareil s'affirmait encore avec la rupture ouverte entre Moscou et Pékin, alors que s'affaiblissait le contrôle des P.C. sur des prolétariats comme le prolétariat français et italien, érodés par leur colla­boration avec la bourgeoisie et leur rôle d'agents du Kremlin.

Cette crise conjointe rendait urgente la modification des rapports entre les classes tels qu'ils s'étaient établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cela était particulièrement nécessaire en Europe, berceau du capitalisme, de l'impérialisme, mais où s'affirmait la décadence des vieilles puissances impérialistes, cette Europe qui est également le berceau du mouvement ouvrier. Au len­demain de l'écrasement de la révolution hongroise des conseils par les tanks de la bureaucratie du Kremlin, de la venue au pouvoir sans combat de de Gaulle en France, pour la première fois la bourgeoisie, bien qu’en crise, reprenait l'initiative politique contre le prolétariat. Elle allait tenter d'utiliser cette initiative pour s'effor­cer de domestiquer la classe ouvrière, de détruire sa capacité de combat, par l'intégration des syndicats à l'Etat bourgeois.

L'histoire de cette tentative ne peut être écrite ici. Il est néan­moins nécessaire de la rappeler. Tant en Allemagne, en Italie, en Angleterre qu'en France, les bourgeoisies et leur gouvernement ont tenté de réaliser cette opération, en quelque sorte, à froid, sans affrontement global, direct et brutal avec la classe ouvrière, en se fondant sur la politique des appareils bureaucratiques trade-unionistes, staliniens, sociaux-démocrates ou petits-bourgeois. Le résultat est là. De Gaulle en France a échoué. Echec également en Allemagne de l'Ouest, malgré le vote des lois sur l'état d'urgence, la « co­gestion », le gouvernement Kissinger-Brandt et ensuite le gouver­nement dirigé par Brandt. Echec en Angleterre malgré le vote de la loi syndicale mise au point par le gouvernement Heath. Bien plus, la classe ouvrière a surmonté ses défaites politiques. Elle a de nouveau engagé le combat qui a culminé en France avec la grève générale de mai-juin 68 et qui s'est développée en Angleterre depuis la grève des marins britanniques en 1966 jusqu'à la grève victorieuse des mineurs en 1972. Ce combat a mis en mouvement le prolétariat italien en de multiples actions et a dressé récemment encore les métallos du Bade-Wurtemberg en une grève de signification nationale. Cette volonté de lutte s'est également manifestée par des mouvements qui se sont développés en Suède, en Belgique et dans d'autres pays. La classe ouvrière reprenait l’initiative politique, et cela se concrétisait, toujours en Europe, par les mouvements révolutionnaires de Tchécoslovaquie en 1968 et de Pologne en 1970-71, tandis qu'en Espagne, la dictature franquiste et ses « syndicats » verticaux, corporatistes étaient mis en échec par la classe ouvrière.

La conclusion qui s'impose est évidente : la difficulté pour la bourgeoisie d'intégrer les syndicats à l'Etat bourgeois est tout aussi grande que son acharnement à y parvenir.

Il est indispensable d'analyser pourquoi la bourgeoisie s'acharne à intégrer les syndicats à l'Etat et les difficultés qu’elle rencontre dans la réalisation de cet objectif. Les syndicats sont des organismes de classe, élémentaires mais fondamentaux, du prolétariat. Ils sont le moyen du combat quotidien contre l'exploitation et le lieu où les couches les plus combatives du prolétariat s'organisent. Ils ont été construits au cours de toute une histoire faite d’affrontements avec le patronat et l’Etat bourgeois. En période de lutte, la classe ouvrière a nécessairement recours à ses syndicats (même si elle les déserte partiellement) pour diriger et organiser son action. En ce sens, ils sont une conquête historique du prolétariat, qui ne peut résister au patronat et à l’Etat bourgeois, et a fortiori les affronter, les faire reculer et les vaincre, que par sa propre organisation de classe. Les sectaires mettent en avant les traits réactionnaires des appareils syndicaux pour tourner le dos aux syndicats. Les renégats à la IV° Internationale, certaines variétés de gauchistes, ne compren­nent pas plus que les organisations syndicales réelles sont un produit du mouvement ouvrier, que leurs racines plongent dans toute l'histoire de ce mouvement. C'est pourquoi ils mettent sur le même plan la C.F.D.T. et les confédérations nées du tronc commun de la vieille C.G.T. (C.G.T., F.E.N., F.O.) en jetant toutefois l'anathème sur F.O. La classe ouvrière ne peut se passer de ses syndicats, car ils sont une forme élémentaire du Front uni de classe, parfaitement défini par la formule classique : le syndicat organise les travailleurs pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques ou reli­gieuses. Là est la nécessité des organisations syndicales, là est leur force. L'indépendance des syndicats par rapport à l'Etat bourgeois est un enjeu capital de la lutte des classes. De là d'ailleurs l'achar­nement de Trotsky pour que le combat soit mené à l'intérieur des syndicats. Ce qu'il est convenu d'appeler le « travail dans les syndicats » n'a rien à voir avec une sorte de pêche à la ligne de militants, particulièrement favorable au sein des organisations syndicales où en principe se retrouve l'ensemble des militants ouvriers. Comme tout autre intervention, tout autre bataille politique, l'intervention des militants révolutionnaires dans les syndicats lie la construction du parti révolutionnaire à la défense des intérêts, des besoins objec­tifs de la classe ouvrière. Le « travail dans les syndicats » s'identifie, donc est fondé, sur la défense de l’organisation syndicale, de sa vocation à organiser et à unifier les travailleurs dans leur lutte contre le patronat et l'Etat bourgeois, pour leur indépendance de classe. Trotsky le dit sans équivoque :

“ Le mot d'ordre essentiel dans cette lutte est : complète et inconditionnelle indépendance des syndicats vis-à-vis de l'Etat capitaliste. Cela signifie : lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d'une aristocratie ouvrière.

“ Le second mot d'ordre est : démocratie dans les syndicats. Ce second mot d'ordre découle directement du premier et pré­suppose, pour sa réalisation, la complète liberté des syndicats vis-à-vis de l'Etat impérialiste ou colonial. ”

Cette bataille politique n'admet ni les schémas tout faits ni l'absence de principes. Elle n'admet pas les schémas tout faits, car si les bureaucraties syndicales réformistes, staliniennes, petites-bourgeoises, sont incapables d'assumer l'indépendance de classe des organisations syndicales, si elles s'opposent férocement à la démo­cratie syndicale, elles sont néanmoins dépendantes de l'existence des organisations syndicales. L'histoire du mouvement ouvrier fournit de nombreux exemples d'initiatives prises par les appareils syndicaux qui permirent de sauvegarder, au moins pour un temps, l'organisation syndicale, les libertés et droits conquis par la classe ouvrière.

Rappelons, à titre d'exemple, l'initiative prise en 1920 par l'appareil ultra-réformiste des syndicats allemands et son dirigeant ultra-opportuniste Legien.

Ils firent échouer le coup d'Etat de von Kapp en appelant la classe ouvrière à la grève générale. De plus, Legien proposa la construction d'un gouvernement ouvrier regroupant les partis ouvriers allemands et les syndicats.

Historiquement moins connue, la décision du congrès confédéral F.O. d'appeler à voter Non au référendum du 27 avril 1969, organisé par de Gaulle, a été à l'origine des prises de position sans équi­voque des autres centrales ouvrières et a contribué à la défaite de de Gaulle.

Au congrès de la Fédération de l'Education nationale de 1948, face à la scission de la C.G.T., la F.E.N., en se déclarant autonome et en reconnaissant le droit de tendance, maintenait son unité et pouvait ainsi lutter pour la réunification syndicale. Au moment où les dirigeants F.O. organisaient la scission et où la fraction du P.C.F. au sein de la C.G.T. s'installait dans cette scission, il est incontestable que, en donnant son accord à la motion Bonissel­-Valière qui sauvegardait l'unité de la F.E.N., l'appareil réformiste de cette fédération empêchait la destruction de celle-ci. Jusqu'à ce jour la F.E.N. a préservé son unité. Elle est la plus puissante fédé­ration syndicale française et regroupe la grande majorité du corps enseignant de ce pays, parce qu'elle a sauvegardé son unité. Les conséquences de l'unité de la F.E.N. dépassent la seule corporation enseignante : la F.E.N. est un bastion du mouvement ouvrier capa­ble d'organiser la résistance aux attaques du capital et du gouver­nement bourgeois, d'impulser le Front Unique des centrales syndi­cales. Par sa seule existence elle a limité le recul de la classe ouvrière française et les effets de la scission syndicale. L'applica­tion, jusqu'au bout, des plans de destruction de l'Education natio­nale passe par la destruction de la F.E.N., ce qui serait une défaite pour toute la classe ouvrière. Il faut dire que la C.F.D.T., le P.S.U. comme la fraction stalinienne de la F.E.N. s'y emploient conscien­cieusement.

Dans l'histoire du mouvement ouvrier français et international il est d'autres exemples de prises de position positives des appareils syndicaux. Pour en citer un dernier, il est évident que le refus de la direction de l'A.F.L.-C.I.O., pourtant ô combien liée à l'impéria­lisme américain et à l'appareil d'Etat, de s'incliner devant le blocage des salaires décrété en août 1971 par l'administration Nixon, exprimait sans aucun doute la résistance de la classe ouvrière amé­ricaine aux exigences de sa bourgeoisie, mais à son tour elle a alimenté sa résistance aux plans du capital et sa combativité.

Ne pas tenir compte du mouvement contradictoire des appareils syndicaux pris entre les exigences du maintien de l'ordre bourgeois et celles de leur propre conservation, laquelle dépend de l'existence des organisations syndicales, serait l'expression d'un sectarisme stérile. Ce serait faire preuve du même sectarisme que de s'aban­donner à de dangereuses illusions car ainsi que l'écrit Trotsky :

“ A un certain degré de l'intensification des contradictions de classe dans chaque pays et des antagonismes entre les nations, le capitalisme impérialiste ne peut plus tolérer une bureaucratie réformiste (au moins jusqu'à un certain point) que si cette dernière agit directement comme actionnaire, petite mais active, dans les entreprises impérialistes, dans leurs plans et leurs pro­grammes au sein même du pays aussi bien que sur l'arène mondiale. ”

Mais alors qu'est-ce qui permet de distinguer, de juger et de combattre en conséquence ? Rien d'autre que ce qui exprime les besoins et objectifs de la classe ouvrière : le terrain de l'unité et de la démocratie ouvrières, l'indépendance à l'égard du capital et du gouvernement bourgeois. En d'autres termes, il s'agit de définir une politique qui exprime les intérêts du prolétariat, qui élève son niveau de conscience, renforce son homogénéité et soit conforme à ses intérêts immédiats et historiques, lesquels, à l'époque de l'impé­rialisme, sont indissociables. C'est par rapport à cette politique que peut être appréciés la politique des appareils syndicaux. Nous nous déterminons en fonction de la classe ouvrière et non des appa­reils. Notre attitude vis-à-vis des appareils procède de là. Ainsi seulement peuvent être exploitées leurs inévitables contradictions.

L'O.C.I. a caractérisé la période ouverte par la grève générale de mai-juin 68 et le processus de révolution politique en Tchéco­slovaquie comme celle de l’imminence de la révolution et de la contre-révolution. L'O.C.I. entend par-là que, à l'échelle mondiale, le prolétariat a repris l'initiative politique. Naturellement le déve­loppement de la lutte de classe du prolétariat n'en est pas moins inégal. Il connaît des flux et des reflux. Il s'affirme dans tels on tels pays, tandis que la classe ouvrière semble en retrait en d'autres pays. Mais la courbe générale de la lutte des classes va vers l'ouver­ture de situations révolutionnaires qui tendront à s'alimenter réci­proquement. Ainsi, après la grève générale française et le processus de révolution politique en Tchécoslovaquie, c'est en Pologne, en Bolivie, que la poussée du prolétariat mondial a atteint ses sommets. Dans ces pays la classe ouvrière a retrouvé des formes d'organisation de type soviétique. Le prolétariat bolivien a subi une défaite lorsque le 21 août 1971 les militaires boliviens inspirés et aidés par la C.I.A. ont organisé et réussi leur coup d'Etat.

Lors de la discussion historique qui eut lieu aux chantiers de Szczecin entre Gierek et les travailleurs, c'est une sorte de com­promis qui fut élaboré en fait entre le prolétariat polonais et Gierek agissant au nom de la bureaucratie de ce pays.

La classe ouvrière polonaise savait qu'il lui eût fallu non seule­ment affronter sa propre bureaucratie, mais aussi celle du Kremlin.

Elle craignit le bain de sang et différa l'affrontement dans l'attente de conditions politiques plus favorables.

De leur côté, l'impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les bureaucraties satellites, la bureaucratie chinoise sont dans une situation qu'ils ne contrôlent pas. Ils ne parviennent pas à imposer dans la lutte des classes leurs « solutions ». Malgré les contradictions et conflits qui s'aggravent, tant entre les différentes puissances impé­rialistes qu'entre les différentes bureaucraties parasitaires, et entre l'impérialisme et les bureaucraties parasitaires, ils tentent, ensemble, sous l'égide de l'impérialisme américain, d'établir un nouveau front contre-révolutionnaire mondial, Survenant après les accords Bonn-Moscou et Bonn-Varsovie, les accords sur Berlin, les voyages successifs de Nixon à Pékin et à Moscou n'ont d'autre sens que d'affir­mer démonstrativement l'existence de ce front contre-révolution­naire et de l'organiser, sous l'étiquette de la « coexistence paci­fique ».

La crise conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin ne cesse pourtant de s'approfondir ; après la Bolivie, le Chili est le théâtre d'une lutte de classe qui dresse le prolétariat et les masses exploitées aussi bien contre la bourgeoisie « nationale » que contre l'impérialisme. Les directions du P.S., du P.C.F., de la centrale syndicale unifiée déploient toutes leurs res­sources afin d'enserrer le prolétariat chilien dans les filets de l'Unité populaire, de la détourner de la lutte pour le gouverne­ment ouvrier paysan qui s'appuierait sur le prolétariat organisé comme classe, qui exproprierait la bourgeoisie, détruirait l'Etat bourgeois, édifierait l'Etat ouvrier. Une intense activité politique est déployée en Amérique latine, mais égaiement en Europe, par les partis réformistes, staliniens, par Castro, par les organisations petites-bourgeoises, qui soutiennent la politique, traître à la classe ouvrière, de l'Unité populaire et qui s'efforcent de discréditer le premier soviet d'Amérique latine, l'Assemblée populaire de Bolivie. Tout comme hier en Bolivie, l'enjeu dépasse le Chili, toute l'Amérique latine est concernée.

Le prolétariat ayant l'initiative politique, manifestement s'accu­mulent les signes annonciateurs d'une crise sans précédent du sys­tème impérialiste mondial, de la bureaucratie du Kremlin et de son appareil international, des bureaucraties parasitaires. De là toute la portée de la renaissance de formes soviétiques : en Pologne : les conseils ouvriers ; en Bolivie : l'Assemblée populaire. Personne ne sait où se produiront en Europe les prochaines explosions révolu­tionnaires et si même elles auront lieu à l'est ou à l'ouest de l'Europe. Pourtant il est certain qu'elles se produiront, qu'elles se répercuteront à l'Europe entière, qu'elles retentiront aux U.S.A., qu'elles se noueront avec le développement de la nouvelle vague révolution­naire, en Amérique latine, en Afrique et en Asie.

Une même question déterminante se posera partout : celle du pouvoir. Obligatoirement la classe ouvrière de chaque pays combat­tra, tendra à s'organiser comme classe, posera la question du pouvoir, en fonction de son histoire, de ses traditions propres, des organisa­tions qui sont les siennes : partout, en termes spécifiques, la classe ouvrière sentira la nécessité de constituer le Front unique ouvrier. Mais la classe ouvrière de chaque pays qui entrera dans la tour­mente révolutionnaire, en utilisant, certes, ses voies propres s'orientera vers la constitution de formes soviétiques. L’importance de la résurgence des formes d'organisation soviétiques en des pays si éloignés et si différents que la Pologne et la Bolivie est là : le prolétariat de chaque pays renouera avec les soviets ou consti­tuera des soviets pour la première fois dans son histoire.

Cette perspective ne diminue pas l'importance des syndicats du point de vue de la lutte de classe du prolétariat et de la stratégie révolutionnaire. D'abord, si certaine et proche qu'elle soit, ce n'est encore qu'une perspective. C'est aujourd'hui que se développe, la bataille politique à l'issue de laquelle se concrétisera la perspective de la constitution de formes de pouvoir de type soviétique. La bourgeoisie, les appareils bureaucratiques trade-unionistes, réformistes, staliniens combattent pour empêcher qu'elle se réalise, et, s'ils ne le peuvent pas, pour être en mesure de contrôler le mouve­ment, le dévoyer et sauver l'ordre bourgeois.

La bourgeoisie n'a pas renoncé à domestiquer les organisations syndicales. En France, Chaban-Delmas s'y est employé avec ses « contrats de progrès », sa « nouvelle société » : que ce soit sans succès est une autre affaire. Après la défaite retentissants qu'au compte de la classe ouvrière tout entière les mineurs anglais lui ont fait subir, le gouvernement Heath poursuit ses tentatives de domestication des syndicats. Dans chaque pays on pourrait faire les mêmes constatations. En France, le nouveau gouvernement Pompidou-Messmer se présente comme un gouvernement de pure tra­dition gaulliste, un gouvernement qui se veut fort, capable d'enrayer la crise politique bourgeoise, de rallier la petite-bourgeoisie et, par conséquent, de porter des coups à la classe ouvrière, de sou­mettre sinon de détruire ses organisations et d'abord ses syndicats. Au point où en est la crise de la société française, le jeu des direc­tions des organisations syndicales sera difficile : elles doivent ne rien faire qui accélère la crise, tenter d'éviter que ne surgisse une situation révolutionnaire ouverte, et, en même temps, pré­server leurs capacités de contrôle ultérieur sur la classe ouvrière mobilisée.

Dans le même temps la bourgeoisie et les directions bureau­cratiques préparent le recours aux « solutions » du type « Front populaire ». Le Chili sert d'exemple. Et en France, l'accord sur « le programme de gouvernement » entre les directions du P.S. et du P.C.F., auxquelles se sont joints les « radicaux de gauche », prépare l'éventuel recours à une « solution » de ce genre. La direction de F.O. se tient en retrait, tout au moins pour l'instant. La direction de la F.E.N. en est encore au stade des prises de contacts et des discussions avec les signataires de « l'accord sur le programme de gouvernement ». La direction de la C.G.T. s'est prononcée sans réserves pour le soutien à l'accord. Au cas où la ligne de défense de l'ordre bourgeois que constitue « l'Union populaire » se révélerait indispensable, toutes s'y rallieront d'une façon ou d'une autre. D'autant que « l'Union populaire », qu'elle soit chilienne, française, ou d'autres pays... correspond totalement aux aspirations des bureau­craties syndicales que Trotsky définissait ainsi :

“ Le capitalisme monopolisateur n'est pas basé sur la concurrence et sur l'initiative privée mais sur un comman­dement central. Les cliques capitalistes, à la tête des trusts puissants, des syndicats, des consortiums bancaires, etc., contrôlent la vie économique au même niveau que le fait le pouvoir d'Etat et à chaque instant elles ont recours à la collaboration de ce dernier. A leur tour les syndicats, dans les branches les plus importantes de l'industrie, se trouvent privés de la possibilité de profiter de la concurrence entre les différentes entreprises. De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes, c'est-à-dire sur des positions basées sur l'adaptation à la propriété privée, la nécessité de s'adapter à l'Etat capitaliste et de tenter de coopérer avec lui. Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à libérer l'Etat de l'emprise capita­liste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l'atti­rant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l'aristocratie et de la bureaucratie ouvrières qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des surprofits du capitalisme impérialiste. ”

Le support des organisations syndicales est indispensable à « l'Unité populaire », au « Front populaire », ou à tout autre for­mule de ce genre, dont le but est de canaliser la classe ouvrière en mouvement et de la détourner de ses objectifs de classe. Toujours et obligatoirement, de telles opérations sont fondées sur des équi­voques : les masses voient dans l'unité des organisations ouvrières le moyen qui permettra que soient satisfaites leurs revendications, le moyen de résoudre la question du pouvoir politique Les directions tentent de les enfermer dans les cadres de la société bour­geoise dont elles affirment la pérennité en s' « alliant » à des organisations ouvertement représentatives de la bourgeoisie - les « radicaux de gauche » - même si celles-ci ne possèdent aucune force propre. Elles évoquent les « difficultés » qui assaillent un « gouvernement du peuple » pour ne pas satisfaire les revendica­tions et aspirations de la classe ouvrière. Elles appellent les travailleurs à respecter l' « ordre », la « discipline », à ne pas « effrayer » les alliés « démocrates », les masses petites-bourgeoises, etc. En un mot, au nom de la lutte pour soutenir le « gouverne­ment du peuple », elles demandent à la classe ouvrière et aux masses exploitées de sacrifier leurs intérêts immédiats et histo­riques en respectant la société bourgeoise, ses institutions, son Etat. Tout cela est impossible sans la caution des appareils syndicaux, justement parce qu'ils contrôlent les syndicats, organismes élémen­taires de classe du prolétariat. Il n'est pas d'exemple que le développement du mouvement de la classe ouvrière, que l'ouverture d'une crise révolutionnaire ne se traduisent pas par un afflux de couches entières de travailleurs vers les organisations syndicales, toujours en raison de leur caractère d'organisations élémentaires de classe. En conséquence de quoi le « travail dans les syndicats » a d'autant plus d'importance.

Il s'agit, toujours et encore, de traduire en termes clairs les aspirations et besoins du prolétariat. Ainsi l' « accord sur le pro­gramme de gouvernement » entre le P.S. et le P.C.F. ne peut en aucun cas signifier qu'il faut attendre pour lutter pour les reven­dications, qu'il faut attendre pour résoudre la question gouver­nementale. L'unité pour la lutte, dans le cadre de la démocratie syndicale et ouvrière, est possible. Le moins que les masses puissent attendre de cet accord, c'est qu'il lève les obstacles politiques dressés contre la préparation et le développement des luttes de la classe ouvrière. A l'intérieur des syndicats il s'agit de dégager ce que les masses attendent de l'unité, et de ne pas accepter la subordination, non seulement à l'Etat bourgeois, mais aux « radi­caux de gauche », des syndicats et de l'action syndicale. Tout en exprimant ce que les masses attendent d'un accord entre le P.S. et le P.C.F., il s'agit de ne pas accepter la subordination du mouvement syndical à un éventuel gouvernement « d'Union populaire » pas plus qu'au « programme de gouvernement ». De même qu'un accord P.S.-P.C.F. n'est positif pour la classe ouvrière que s'il lève les obstacles à l'unité de classe du prolétariat, à la prépara­tion et à l'organisation des luttes ouvrières, avant, pendant et après les élections législatives. Un gouvernement P.S.-P.C.F. ne sera un gouvernement ouvrier qu'autant qu'il ne comprendra aucun repré­sentant de la bourgeoisie, qu'il satisfera aux revendications ouvrières en s'appuyant sur les luttes de la classe ouvrière et sur son organisation comme classe. Voilà ce qu'il faut traduire quo­tidiennement, en termes adaptés, à l'intérieur des syndicats comme à l'extérieur. Car il n'existe qu'une seule et même politique révolu­tionnaire, il faut seulement l'exprimer en termes adaptés au milieu. Dans l'immédiat, la perspective du gouvernement d' « Union populaire » va être dressée comme un obstacle à l'unité syndicale et à l'unité ouvrière ; soit, selon certains, parce que toute action serait subordonnée à l'éventuelle venue au pouvoir d'un tel gou­vernement ; soit, selon les autres, parce que la réalisation de l'unité syndicale et ouvrière serait impossible avec les « suppor­ters » de l' « Union populaire ». La crise de la bourgeoisie s'appro­fondissant, les masses mobilisées nous emboîteraient ultérieurement le pas.

S'il s'agit de distinguer, dans les oscillations des appareils syndi­caux, entre celles que produisent les exigences de l'impérialisme, de l'Etat bourgeois, et celles qui correspondent aux intérêts spéci­fiques de ces appareils ; nulle illusion n'est tolérable : la crise de la bourgeoisie, la montée révolutionnaire des masses vont souligner et accentuer le caractère réactionnaire des appareils syndicaux - de tous les appareils syndicaux - avant de les disloquer. Comme ils seront engagés dans de grandes manœuvres, contraints de « gauchir » pour contrôler et canaliser le mouvement des masses, ils organiseront la « chasse aux sorcières ». Il faudra savoir utiliser le terrain pour rester à l'intérieur des organisations syndicales. Faire preuve d'habi­leté tactique ne doit pas faire perdre de vue la définition et l'appli­cation d'une politique de classe exprimée, naturellement, en termes adaptés au milieu ; bien plus, aucune habileté tactique, si elle n'est fondée sur une politique de classe, ne protégera les militants révolutionnaires de la répression que tenteront de développer les appareils bureaucratiques.

Une juste appréciation de la nature des organisations syndi­cales, de leur place dans la lutte des classes de leurs limites, de leurs contradictions, est indispensable à la définition et à l'appli­cation de la politique révolutionnaire. Ces dernières années, elle ­ont, comme toujours, joué un rôle considérable, capital, dans tous les pays où la classe ouvrière s'est engagée en des combats de grande ampleur : en Bolivie, au Chili, en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne, etc. Rôle souvent contradictoire : lieux et instruments d'organisation du prolétariat, celui-ci s'efforce de les utiliser pour se mobiliser et combattre. Placées sous le contrôle des appareils bureaucratiques, elle s'efforcent de cana­liser et de dévoyer le mouvement. En Bolivie, là où le parti trotskiste occupe des positions de premier ordre au sein de la classe ouvrière et de ses organisations syndicales, la C.O.B. a eu une action particulièrement positive, non, toutefois, sans luttes internes et contradictions. En Espagne, les syndicats ont été détruits et le régime impose le syndicat vertical corporatiste. La classe ouvrière y cherche les voies et les moyens de reconstruire une organisation syndicale indépendante. En Argentine, Peron, infligeant une défaite à la classe ouvrière, était parvenu à subordonner la C.G.T. à l'Etat bourgeois. Le prolétariat s'efforce d'utiliser et de rénover la centrale syndicale.

Ce n'est pas seulement dans les pays capitalistes économique­ment développés ou arriérés que la classe ouvrière tente d'utiliser les organisations syndicales, de s'en ressaisir, de les rénover ou de les reconstruire. En Europe de l'Est, en U.R.S.S., les syndicats sont étroitement inféodés aux bureaucraties parasitaires. Néanmoins en Allemagne de l'Est en 1953, en Pologne en 1956, en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968, en Pologne en 1970-71 ( la classe ouvrière les a utilisés au cours de ses luttes contre la bureaucratie, afin de défendre les conquêtes ouvrières, son droit à l'emploi, ses aspirations à plus d'égalité sociale, à l'élimination des privilèges bureaucratiques. Elle a fait éclater les cadres des syndicats bureaucratisés, elle les a épurés et reconstruits. En Tchécoslovaquie, longtemps, les syndicats ont constitué des centres de résistance à la normalisation. Souvent, à l'intérieur des syndicats de ces pays, se reflète, il est vrai de façon très atténuée et déformée, la sourde résistance de la classe aux spoliations, aux pillages de la bureau­cratie. Aussi, en U.R.S.S., en Europe de l'Est, le « travail à l'intérieur des syndicats », pour leur indépendance, pour la démocratie syndicale, contre l'inégalité sociale, pour la défense des acquis, pour les libertés démocratiques, si difficile qu'il soit, est-il indispen­sable à la définition et à l'application de la politique révolution­naire et à la construction du parti révolutionnaire.

Les syndicats n'ont pas « fait leur temps ». Au cours de toute la période où se prépare, dans le « quotidien » de la lutte des classes, la crise révolutionnaire ouverte, ils gardent toute leur importance et leur place. Si l'on comprend ce que signifie l'unité organique, dans le temps et l'espace, de la lutte des classes mondiale, si l'on comprend la dialectique de l'unité des contraires, on comprend que cela vaut pour l'organisation comme classe du prolétariat. Alors il devient évident que la constitution des comités de grève, des comités ouvriers, des soviets, ne, surgit pas du néant. Ils sont tout à la fois dépassement des anciennes formes d'organi­sation du prolétariat devenues insuffisantes, beaucoup trop étroites et limitées en regard des tâches nouvelles que met à l'ordre du jour la mobilisation du prolétariat et ils englobent, sans les supprimer bien au contraire, les formes anciennes et traditionnelles (syndicats et partis) dont le rôle se renouvelle mais sans perdre de son importance. Les syndicats auront leur place au sein des formes soviétiques. Bien plus, ils seront bien souvent à l'origine de la constitution d'organismes soviétiques, dont il est bien possible que, au moins dans une première phase, ils en forment le noyau et en soient l'élément moteur. Les masses en mouvement ne rom­pront pas pour autant avec les formes d'organisations tradition­nelles et les militants qui les animent ; au contraire elles s'adresseront à eux dans le cadre même des nouveaux organismes pour résoudre les problèmes nouveaux. Ce n'est pas trop s'aventurer que d'affirmer : sans doute les militants des organisations syndi­cales et politiques traditionnelles ne seront-ils pas les seuls ; de nouvelles couches de militants - mais dont beaucoup rejoindront également les syndicats - auront un rôle actif, seront à l'initiative de la formation d'organisme de type soviétique, mais ils en seront la force dirigeante. Diverses raisons permettent de l'affirmer : lorsque le prolétariat parviendra au moment où se produit cette modification de son comportement, qui le met en mouvement dans son ensemble, qui lui fait ressentir profondément la nécessité de s'organiser dans sa masse comme classe, parce qu'il lui appartient de transformer radicalement le fonctionnement de la société, les militants seront plus à même que quiconque de traduire pratique­ment et organisationnellement cette aspiration. Les militants pourront et devront ainsi intervenir parce que les directions traditionnelles, les appareils bureaucratiques, ne se laisseront très proba­blement pas dépasser de plein gré, tout au moins au cours de la première phase. Lorsqu'ils percevront en effet que les formes d'organisation soviétiques vont se constituer, ils prendront l'initiative de les construire, pour les contrôler, en prendre la tête, les dévoyer, les dénaturer, les impuissanter et, ultérieurement, les dé­truire. Il faudrait être fou pour imaginer que les vieilles direc­tions syndicales et politiques, les dirigeants réformistes. trade­-unionistes, staliniens, petits-bourgeois, abandonnent le combat, qu'ils déserteront le champ de bataille que seront les comités de grève, les comités ouvriers, les soviets. Le bon sens et l'histoire prouvent le contraire. Il ne faut jamais oublier que Ebert., Noske, baptisèrent “ conseil des commissaires du peuple ” le gouvernement qu'ils dirigeaient en novembre 1918, mis en place avec la bénédic­tion du grand état-major allemand et en constante liaison avec lui, dont le rôle était d'assumer la continuité de l'Etat et de l'ordre bourgeois, de détruire les conseils. Ils baptisèrent ainsi leur gouvernement avec quelques apparences de justification puisque sociaux-démocrates et indépendants possédaient la majorité, au sein des conseils ouvriers.

Dans une grande mesure, la place qu'occuperont les militants révolutionnaires au sein des formes soviétiques lorsqu'elles surgi­ront dépendra de la place qu'ils auront su occuper précédemment à l'intérieur des syndicats.

Les années écoulées, le cours plus complexe que prévu de la lutte des classes ne changent rien à la validité des conclusions de Trotsky, mais au contraire les confirment :

“A l'époque de l'impérialisme décadent, les syndicats ne peuvent être réellement indépendants que dans la mesure où ils sont consciemment dans l'action des organes de la révolu­tion prolétarienne. ”

Les syndicats ne sont pas neutres, ils ne peuvent être neutres, politiquement : ou ils sont à la remarque de la bourgeoisie, et cela revêt des aspects multiples qui vont de la collaboration directe au niveau de l'Etat bourgeois jusqu'au refus de participer au Front unique de classe et de l'impulser, en passant par la défense, d'une politique bourgeoise à l'intérieur d'éventuels soviets... ou ils adoptent une politique révolutionnaire qui doit se concrétiser à chaque moment.

L'indépendance des syndicats n'est rien d'autre que l'indépen­dance du prolétariat par rapport à la bourgeoisie et à son Etat. Mais à quel autre moment cette indépendance est-elle pleinement assurée, sinon au moment où le prolétariat s'organise comme classe, au moment où il chasse du pouvoir la bourgeoisie, prend le pou­voir, détruit l'Etat bourgeois et constitue son propre Etat ? Il n'est d'indépendance des syndicats qu'en rapport avec cet objectif. Les syndicats abordent selon le mouvement qui leur est propre, les pro­blèmes politiques, ils ne peuvent les éviter. Le grand art des trade­-unionistes, des « apolitiques » consiste, au nom de « l'apolitisme », à laisser la bourgeoisie faire sa politique et à s'y soumettre.

Il ne fait aucun doute qu'une certaine façon de poser à l'inté­rieur des syndicats les « problèmes politiques » dresse des obstacles à la prise de position et à l'action politiques des syndicat, Ainsi, par exemple, en France actuellement - les faire se prononcer sur le « programme de gouvernement » P.S.-P.C.F. ; « exiger » que les syndicats et leurs directions se prononcent pour les « soviets », pour un « gouvernement ouvrier », etc., serait totale­ment abstrait et faux. Il reste que, sous une forme, déterminée, le combat pour l'unité des organisations syndicales, pour les reven­dications, contre le gouvernement Pompidou-Messmer. pour la défense des libertés est indispensable. Concrètement, c'est ainsi que l'indépendance des syndicats doit se traduire à l'heure actuelle. Ultérieurement, ils ne pourront échapper à des prises de position plus précises, en fonction du développement de la lutte de classes, y compris au regard de la question du gouvernement.

La bataille politique occupera tous les terrains. Elle se déroulera tant à l'intérieur des organismes de type soviétique que des syndicats. Au cours de cette bataille s'affronteront les organisations politiques réformistes, trade-unionistes, staliniennes, petites-bour­geoises et le parti révolutionnaire, c'est-à-dire le parti qui se situe sur le programme de fondation de la IV° Internationale. De son issue dépendront et le sort des soviets, et celui des syndicats. Car une chose n'est pas plus douteuse aujourd'hui qu'au moment où Trotsky écrivait ce texte : en dernière analyse les directions trade-unionistes, réformistes, staliniennes, petites-bourgeoises ne peu­vent conduire les syndicats qu'à leur destruction. Seule une politique révolutionnaire est capable d'éviter cette destruction. Les syndicats ne peuvent se situer en dehors du problème qui se pose à l'huma­nité, mais que seule peut résoudre la classe ouvrière : socialisme ou barbarie.

Mais il faut poser les questions et les problèmes au sein des organisations syndicales et non des partis. (Les militants pourront, s'ils le désirent, apprécier comment Trotsky mettait en pratique son orientation vis-à-vis des organisations syndicales en lisant dans Le Mouvement communiste en France l'intervention qu'il écrivit lorsqu'il était à Domène, près de Grenoble, et que prononça au C.C.N. de la C.G.T., les 18-19 mars 1935, le délégué de l'U.D.-C.G.T. de l'Isère.) :

« Trop souvent la fausse politisation des syndicats, la tenta­tion de les transformer en partis est le revers du plat opportu­nisme : la renonciation à la construction du parti révolutionnaire. Alors à chaque congrès, si l'on est délégué, on prononce un discours « révolutionnaire », on dépose une résolution non moins « révo­lutionnaire », et l'on passe à côté de la formulation concrète nécessaire pour que les syndiqués et les syndicats puissent se saisir des problèmes politiques. Selon le cas un semblable procédé sert d'exutoire, de caution gauche ou démocratique aux appareils, on permet à ceux-ci de déconsidérer des militants révolutionnaires et de pratiquer la « chasse aux sorcières ».

Aucune tendance « révolutionnaire » à l'intérieur des syndi­cats ne peut se dispenser de la construction du parti révolutionnaire. L'éventuelle constitution de tendances, pour un syndica­lisme se situant exclusivement sur le terrain de la lutte des classes, doit s'insérer dans l'activité de construction du parti révolution­naire. Le syndicat ne peut se substituer au parti. Bien plus, cela doit être dit clairement : le syndicat ne peut jouer son rôle que s'il est impulsé par le parti révolutionnaire. Il ne peut se suffire à lui-même, cela provient de la nature de la période de l'impéria­lisme qui est également celle de la révolution prolétarienne : à partir des intérêts matériels de la classe ouvrière, de sa mobilisa­tion et de son organisation comme classe, tout se joue sur la question du pouvoir politique. C'est justement cette claire com­préhension qui seule permet fermeté et souplesse sur ce terrain où se déroule aussi la lutte des classes : le terrain syndical. Impossible de construire le parti révolutionnaire sans mener cette bataille. Impossible de défendre les syndicats, de lutter pour leur indépendance, pour la démocratie syndicale, pour l'unité des orga­nisations syndicales, pour une seule centrale unique et démocratique, sans construire le parti révolutionnaire.

Il faut lutter pour redonner aux syndicats leur véritable place, leur véritable fonction, et empêcher que la politique des appareils finisse par les détruire. Sans doute beaucoup de camarades se demandent s'il sera possible de redresser les syndicats actuels. Les révolutionnaires ne se bercent pas d'illusions. Les appareils ne seront chassés des syndicats que par une véritable révolution interne qui est indissociable de la révolution prolétarienne, de la conquête du pouvoir, de l'instauration de la dictature du prolétariat s'exerçant dans le cadre de la démocratie soviétique, Ce qui importe, c'est de comprendre la place décisive de la lutte à l'intérieur des syndicats, dans la préparation de la révolution pro­létarienne, pour l'indépendance de classe du prolétariat, pour la construction du parti révolutionnaire. Les syndicats seront-ils rénovés ou reconstruits ? L'histoire réglera ce problème.

“L'indépendance des syndicats dans un sens de classe, dans leur rapports avec l’Etat bourgeois, ne peut être assurée dans les conditions actuelles que par une direction complètement révolutionnaire qui est la direction de la IV° Interna­tionale. Cette direction, naturellement, peut et doit être rationnelle et assurer aux syndicats le maximum de démo­cratie concevable dans les conditions concrètes actuelles. Mais sans la direction politique de la IV° Internationale, l'indépendance des syndicats est impossible. ”


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