1922

Source : numéro 4 du Bulletin communiste (troisième année), 26 janvier 1922.


Notes de la semaine

Amédée Dunois



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Dans l'une de ses premières séances, le Comité Directeur a constitué sa commission syndicale et celle-ci, sous la présidence du camarade Tommasi, s'est mise de suite à l'ouvrage.

Elle se trouvait, par la constitution — évidemment provisoire, mais que l'événement peut rendre d'ici peu définitive — d'une Confédération Générale du Travail Unitaire (C. G. T. U.) en présence d'une conjoncture troublante et décisive : la scission — à tout le moins virtuelle — dans le mouvement ouvrier français. Deux organisations dressées l'une contre l'autre ; d'une part, rue Lafayette, la vieille C. G. T. historique, avec son état-major de fonctionnaires corrompus et désabusés, entièrement gagnés aux méthodes débilitantes d'un réformisme autrefois abhorré, la vieille et tremblante C. G. T. avec sa volonté d'exclusions en masse équivalant pratiquement à la scission, avec sa haine sénile et maladive de la Révolution russe, avec sa domesticité de scribes faméliques intéressés à brouiller les cartes et à jeter l'huile sur le l'eu ; et d'autre part, rue de la Grange-aux-Belles, la C. G. T. nouvelle, avec son irrécusable désir de refaire l'unité de la classe ouvrière autour des principes mêmes qui ont fait la grandeur et la force de la C. G. T. d'autrefois, la C. G. T. unitaire qui, avant de se séparer définitivement des Jouhaux, des Dumoulin et des Merrheim, multiplie sans succès auprès d'eux les démarches de rapprochement et de conciliation.

Il n'a pas dépendu de nous, communistes, que la scission fût éludée. Avec Moscou et pour des raisons identiques, nous sommes des partisans résolus de l'unité syndicale. Tant que nous l'avons pu et dans la mesure de notre influence, nous avons entravé les impatiences de ceux que nous voyions s'accommoder trop aisément d'une scission que nous savions funeste. — Aujourd'hui toutefois, le Rubicon est franchi, ou va l'être : en face de la C. G. T. divisionniste de la rue Lafayette, la C. G. T. unitaire est debout. Si dans quelques semaines, la première s'obstine à ne point répondre à l'appel d'unité qui, de toutes parts, monte vers elle, c'est la scission définitive, avec, hélas ! tous ses déchirements, toutes ses misères, toutes ses ruines. Encore une fois, nous n'avons pas voulu cela. Les responsables ne sont pas chez nous : cherchez-les rue Lafayette, c'est là que vous les trouverez.

Félicitons sincèrement et la Commission syndicale et le Comité Directeur de n'avoir pas prudemment attendu que les destins se soient prononcés pour prendre clairement parti entre les organisations rivales. Et félicitons-nous également que la thèse syndicale votée par le Congrès de Marseille ait trouvé là son application première.

Cette thèse, dont les principes ont été si souvent exposés ici, place au premier rang, on le sait, le principe de l'unité ouvrière. C'est parce qu'elle veut l'unité, avec toutes ses exigences, que la thèse adoptée à Marseille repousse non seulement la subordination, mais même la liaison, et qu'elle se déclare sans restriction pour l'autonomie complète. Ceci étant posé, elle n'en est que plus énergique à affirmer le droit et le devoir du Parti de contrôler l'action syndicale de ses membres, de donner à ceux-ci des directives précises ou des mots d'ordre concrets et d'en exiger le respect.

Ces principes de la thèse syndicale, ils se retrouvent très exactement dans la résolution récente du Comité Directeur. C'est parce que la C. G. T. de la rue Grange-aux-Belles, qui n'est pas, tant s'en faut (et nous le déplorons) communiste, se réclame non seulement en paroles, mais en fait de l'unité ouvrière, condition de tout syndicalisme fort, c'est parce qu'elle a le dessein de regrouper dans ses cadres les prolétaires de toute observance politique ou confessionnelle et de ne recourir jamais ni aux exclusions ni aux scissions, que le Parti Communiste, très judicieusement, s'est prononcé en sa faveur.

Avec l'appui effectif du Parti qui ne lui fera pas défaut, que la C. G. T. Unitaire accomplisse sa destinée ! Est-ce à dire qu'elle réussira à rétablir l'unité de toutes les forces ouvrières sur le champ de bataille économique et à vider par conséquent, l'organisation divisionniste de tout ce qui lui reste d'effectifs ? Qui oserait l'espérer ? Il restera malheureusement sans doute, rue Lafayette, bien des prolétaires abusés ou timides. Puisse la C. G. T. unitaire, fidèle à son mot d'ordre, s'efforcer toujours, par une application syndicale de la doctrine du front unique, à faire participer à ses combats tous ceux d'entre les prolétaires qui n'auraient pas encore rallié son drapeau !

* * *

L'événement de la semaine, avec la résolution du Comité Directeur que je viens de commenter (et que nous publions plus loin), c'est l'assemblée générale des secrétaires fédéraux du Parti Communiste qui s'est tenue dimanche, à Paris. Elle avait pour objet la discussion du front prolétarien unique. Qu'il me soit permis de penser qu'aujourd'hui, comme hier, la controverse demeure ouverte et que, pour la question posée par le Comité Exécutif, toutes les opinions continuent d'être libres.

J'ai lu avec le plus grand soin le compte rendu de la conférence de dimanche. Compte rendu, comme toujours, plus copieux que précis et trop massif pour être pénétrant, mais qui, tout de même, à qui le lit entre les lignes, permet de se « rendre compte ». Il ne m'a pas convaincu de la fausseté du principe même du front unique. Ce qui apparaît comme juste à nos camarades d'Allemagne et de Tchéco-Slovaquie, de Suisse et d'Italie, ne saurait être, en France, radicalement faux. Ce qui nous est recommandé par l'Exécutif de l'Internationale ne saurait être par nous écarté en totalité.

Il n'en est pas moins vrai qu'une assez grande majorité de secrétaires fédéraux ont repoussé le front unique. Ils l'ont fait en se référant à des circonstances purement françaises, négligeant du même coup de considérer le problème sous son aspect international. Il en résulte qu'ils l'ont fort étroitement compris, même qu'ils ne l'ont pas compris du tout, et qu'ainsi, une fois de plus, notre Parti Communiste risque de faire cavalier seul dans l'Internationale Communiste.

Il importait, à mon avis — et c'est ce qu'on n'a malheureusement pas fait — de se prononcer en première ligne sur le principe du front unique, l'accord sur le principe étant des plus réalisables. Qui donc, en vérité, pourrait s'y opposer ? Le front prolétarien unique, c'est à quoi tendent les communistes depuis l'inoubliable Manifeste. Qu'est-ce que se proposait la première Internationale ? « Elle se proposait, dit Engels, d'unir en une seule et prodigieuse armée la totalité des ouvriers militants d'Europe et d'Amérique. » Autrement dit, n'est-il pas vrai, le front prolétarien unique !

Le front unique, on le voit, a de qui tenir !

Le principe même étant admis, rien n'était plus légitime que de faire valoir les difficultés d'exécution. Pour les communistes français, il y en a trois particulièrement frappantes. D'abord, la faiblesse numérique du parti dissident, dont les quarante mille membres ne méritent pas, au dire de certains camarades, qu'on leur fasse l'honneur de traiter avec eux sur un pied d'égalité. Ensuite, la désagrégation rapide à laquelle est en proie la vieille C. G. T., qui pourrait bien d'ici peu n'être plus qu'une carcasse dérisoire. Enfin, et surtout, le fait — signalé à la fois par Frossard et par Loriot — que notre tout jeune Parti manque de l'armement doctrinal qui lui permettrait de manœuvrer sans danger. Un parti dont la culture théorique est très forte peut, sans risquer ni de s'égarer ni de déroger, se départir de ce qu'on nomme communément l'intransigeance. Il n'en est pas de même d'un parti comme le nôtre, dont la conscience communiste manque encore de maturité : l'isolement devient pour lui comme une garantie d'existence ; plus il est isolé, plus il a chance de rester fort !

Je ne discute pas, bien entendu, ces trois ordres d'objections au front unique. L'occasion de le faire m'en sera donnée tôt ou tard. Je rappelle simplement que le débat suit son cours, la parole étant à tous ceux qui, partisans ou adversaires, ont véritablement quelque chose à dire.


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