1921

Source : numéro 24 du Bulletin communiste (deuxième année), 9 juin 1921.


« Rechutes et Flottements »

Amédée Dunois



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Le Populaire fait des gorges chaudes de récents incidents, au reste assez menus, qui, ayant pour auteurs trois députés communistes, engagent bien la responsabilité particulière de ces élus, mais non point, hâtons-nous de le dire, celle de notre fraction parlementaire et moins encore celle de l'ensemble du Parti.

Le Populaire, qui a des poutres plein les yeux, se donne un mal extrême pour découvrir, dans les nôtres, des pailles. L'étrange serait qu'il ne s'y en trouvât pas. Mais que notre hargneux censeur se rassure : nous nous serons depuis longtemps débarrassés de nos pailles qu'il continuera, lui, d'être affligé de ses poutres. La paille, chez nous, c'est l'accident ; tandis que, chez lui, la poutre...

Mais évoquons les faits.

Le citoyen René Nicod1, député de la Fédération de l'Ain, a participé à la manifestation des dissidents devant le Mur des Fédérés. Interpellé à ce sujet par le Comité directeur, il a présenté une défense assez peu satisfaisante, mais dont le Comité, pour cette fois, a bien voulu se contenter : sans doute s'est-il souvenu de l'opposition courageuse qu'a faite Nicod à la guerre, en un temps où la guerre n'avait pour ainsi dire pas d'opposants. Mais Nicod aurait tort s'il pensait qu'on peut n'être communiste que du bout des lèvres et que, où la bouche dit oui,le cœur puisse dire peut-être ou même puisse dire non !

Il parait que Charles Baron2, qui représente au Palais-Bourbon la Fédération des Basses-Alpes, a assisté récemment à la cérémonie d'inauguration d'un monument commémoratif des morts de la guerre. Il convient que Baron et tous ceux qui, par raison électorale, seraient tentés de l'imiter, soient avertis d'une chose : c'est qu'un député communiste doit s'abstenir systématiquement de paraître dans les cérémonies officielles, quelles qu'elles soient. Il n'y est pas à sa place ; il y est même tout à fait déplacé. S'il s'y rendait par aventure, ce ne pourrait être que sur avis conforme de sa Fédération ou du Comité directeur, et seulement pour saboter l'affaire. Or il ne semble pas que Baron se soit, à Sisteron, conduit en trouble-fête. Loin de faire, dans son discours, le procès du régime capitaliste, ce criminel fauteur de l'impérialisme, du colonialisme, du militarisme et de la guerre, loin d'appeler les ouvriers et les paysans à la révolte contre ce régime assassin, Baron a invoqué très platoniquement la « fraternité des peuples », — cette vieille grue quarante-huitarde qui dut être bien étonnée, à son âge, de s'entendre adresser encore un mot d'amour. La fraternité des peuples est une utopie incompatible avec la réalité de la lutte des classes ; nous ne connaissons, nous, que l'internationalisme ouvrier. Qui n'admet pas cette doctrine fondamentale, qu'il aille chez les dissidents ! Mais voici qui, tout de même, est plus grave. Voici qui engagerait plus que des responsabilités individuelles, si les choses s'étaient passées comme le Peuple et le Populaire l'ont dit. Une proposition de loi signée de tous les députés communistes a été récemment déposée à la Chambre. Elle tend à remédier (?) au chômage par des séries de grands travaux publics pour le paiement desquels l'Etat — l'Etat actuel, l'Etat bourgeois — émettrait des bons à cours forcé, appelés billets de travail. Inutile d'entreprendre, d'un point de vue d'économiste, la critique de cette proposition qui n'est en soi ni pire ni meilleure que n'importe quelle autre proposition du même genre. Les intentions de son auteur, le camarade Maurel3, de la Fédération des Bouches-du-Rhône, sont assurément excellentes. Mais la proposition procède de ce faux principe que l'Etat actuel, qui n'est qu'un instrument aux mains de la bourgeoisie, pourrait, avec un peu de bonne volonté, mettre un terme au chômage, ce mal essentiellement capitaliste et qui ne saurait disparaître qu'avec l'expropriation du capital privé. Il ne le peut ni ne le veut, et le lui demander c'est folie.

Mais que ce soit un communiste qui le demande, la chose dépasse l'entendement. Et cela prouve que pour avoir enfin une politique révolutionnaire, il ne suffit pas d'avoir rompu avec la 2e Internationale opportuniste. Et cela prouve qu'il n'est pas si aisé de tourner le dos au réformisme qu'à Vandervelde et à Huysmans. Il faudra cependant que le Parti communiste, à commencer par sa petite fraction parlementaire, se rende compte que le réformisme est bien mort et qu'on tenterait en vain de le ressusciter. Nous n'avons pas à mendier de la vieille société des réformes, si appétissantes qu'à prime vue ces réformes puissent paraître. Nous avons à susciter, à organiser l'effort, la poussée, la pression révolutionnaire des masses ouvrières et paysannes en vue du renversement de la domination capitaliste.

Ce ne sont pas des réformes de détail que le prolétariat attend de nous,— auquel cas il tomberait assez mal. Les réformes, il est d'ailleurs payé pour en connaître la valeur. Ce qu'il attend de nous c'est que, systématiquement, exclusivement, nous préparions, mêlés à lui, l'assaut final qui lui livrera la forteresse capitaliste. Nos moyens ? La propagande, beaucoup de propagande ; l'organisation, encore et toujours plus d'organisation ; l'action de masse enfin, la bataille économique et politique dont la grève, même la plus humble, est une des figures typiques et dont l'insurrection à base de grève générale marquera le moment culminant. Quant aux réformes, ces chères et bien-'aimées réformes qui font battre le cœur de Paul-Boncour4, elles viendront à nous toutes seules — « toutes rôties » — comme nous est venue la journée de huit heures, en un temps où le Capital tremblait dans sa vieille peau.

Les communistes n'ont pas à trop s'occuper d'elles : qui met la main dans l'engrenage réformiste, tout son corps y passe à la fin. L'expérience est à cet égard décisive : qu'on se souvienne de la 2e Internationale.

Si donc nous déléguons au Parlement des camarades, c'est d'abord parce qu'il est moralement impossible de déserter la lutte électorale ; ensuite parce que la tribune parlementaire donne à la revendication révolutionnaire du prolétariat un retentissement et une ampleur incomparables. Ce n'est pas en tout cas pour y collaborer à des travaux législatifs dont les quatre-vingt-dix centièmes ont pour effet le plus certain de consolider l'ordre social et d'en prolonger la durée. Moins encore pour y prendre l'initiative de « réformes sociales » que le premier démocrate ou le dernier dissident venu peut déposer. Au Parlement comme dans la rue, dans la rue comme à l'atelier, les communistes n'ont qu'un mot d'ordre : Lutte de classe et révolution !

La politique de pure opposition parlementaire, symbolisée dans le passé par le rejet annuel du budget, doit devenir enfin une réalité quotidienne, ne souffrant aucune exception.

* * *

C'est dire combien est à mes yeux malencontreuse la proposition du citoyen Maurel. De là à la prendre au tragique il y a loin. Zinoviev, dans le dernier numéro de l'Internationale Communiste, se félicitant de l'adhésion donnée à Moscou par le Parti français, annonçait comme à peu près inévitables « des rechutes et certains flottements ». Nous ferons de notre mieux pour que les rechutes soient bénignes et les flottement éphémères : l'avenir du communisme révolutionnaire en France dépend de notre vigilance à cet égard.

La vraie querelle à faire au citoyen Maurel — dont la bonne foi n'est nullement en cause — ce n'est point d'avoir franchi les limites ou nous entendons ramener l'action du communisme au Parlement, c'est d'avoir méconnu la nouvelle discipline du Parti. Non seulement notre fraction parlementaire n'a jamais délibéré sur son projet, dont elle n'a connu l'existence qu'après coup, mais le Comité directeur n'a pas été consulté. Avant Tours, l'indiscipline des élus était la chose la plus courante ; le groupe parlementaire formait comme un parti dans le Parti : c'est un mal que nous sommes résolus à ne pas se laisser réintroduire parmi nous. Il n'est plus admissible que les élus fassent ce qu'ils veulent, comme ils le veulent, quand ils le veulent. La discipline s'impose à tous les militants, élus ou non élus.

Rechute ! Flottement ? Nous en connaîtrons d'autres, tant l'erreur est chose humaine. Ce qui importe, c'est de ne pas se résigner à elle et, dés qu'elle apparaît, de la combattre et de la vaincre. Et tel est bien l'objet de cet article, que je n'aurais pas écrit si je n'aimais pas mon Parti plus que tel ou tel camarade !

Notes

1 René Nicod (1881-1950), député de 1919 à 1924, puis de 1936 à 1940, il allait rester au PCF jusqu'en 1939, et rompit suite au pacte germano-soviétique. Après 1945, il rejoignit la SFIO.

2 Charles Baron (1876-1960) n'est pas resté longtemps au Parti Communiste. En 1940 il vota les pleins pouvoirs à Pétain.

3 Henri Maurel (1867-1935), député des Bouches-du-Rhône de 1919 à 1924, exclu du Parti Communiste en 1923.

4 Joseph Paul-Boncour (1873-1972), alors député socialiste.


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