1920

 

N. Boukharine

Économique de la période de transition

III : l'écroulement du système capitaliste

La collision entre les diverses parties du système capitaliste mondial, qui reflétait le conflit entre la croissance des forces productives de ce système et sa structure de production anarchique, a été, comme nous l'avons vu, un conflit entre trusts capitalistes d'État. Le besoin objectif mis à l'ordre du jour par l'histoire est celui d'une organisation de l'économie mondiale, c'est-à-dire la transformation du système économique mondial sans sujet en un sujet économique actif, en une organisation fonctionnant conformément à un plan, une « unité téléologique », un système organisé. L'impérialisme s'efforça de remplir cette tâche par ses propres méthodes. C'est ce que H. von Beckerath a exprimé d'une façon pas tout à fait exacte. Il affirme : « Etant donné que la libre concurrence échoue à servir de régulateur à la vie économique, l'appel à l'organisation se fait finalement entendre. Il s'ensuit un processus de fusion et une lutte commune pour les marchés industriels. Ainsi surgit une lutte de masses économiques unifiées sur le plan national, qui revêt de plus en plus un caractère politique et qui culmine finalement dans un gigantesque conflit politique entre des peuples à la recherche des débouchés industriels » [a]. L'achèvement de cette tâche dépasse les forces de l'impérialisme, et la crise due à la guerre conduit à la crise du système tout entier. Mais, dans le cadre étroit des différents trusts capitalistes d'État, le premier stade de la guerre a été celui d'une réorganisation interne des rapports de production capitalistes dans le sens d'une planification et d'une organisation des différentes parties du système en lutte entre elles. Il n'est pas difficile de comprendre et d'analyser les causes fondamentales de cette réorganisation, qui conduisit à l'élimination, par la voie de l'étatisation des fonctions économiques, de l'anarchie interne de la production. Sur le plan organisationnel et technique, cette réorganisation fut largement facilitée par la disparition extraordinairement rapide des groupes de moyenne dimension. La guerre agit à ce point de vue comme une crise gigantesque. Tandis que la somme de la plus-value produite décroissait, celle-ci se concentrait et s'accumulait dans les unités de production les plus fortes (sur le plan social, technique et économique). Le processus de centralisation du capital fut extraordinairement accéléré et cette centralisation accélérée constitua la « condition négative » de la nouvelle forme des rapports capitalistes. Les raisons positives de l'étatisation furent les besoins de la guerre en tant que puissant processus organisé. La dimension de cette guerre, sa technique, la complexité des rapports internes de l'appareille militaire, l'énorme demande des produits de l'industrie et de l'agriculture mis en jeu immédiatement par l'organisation de la guerre, et enfin la signification décisive de l'issue des opérations de guerre pour les classes dominantes mirent à l'ordre du jour le dépassement maximum de l'anarchie à l'intérieur des parties en lutte du système capitaliste. Toutes les autres conditions, restant par ailleurs égales, les résultats de la guerre étaient directement proportionnels au degré d'organisation économique des trusts capitalistes d'État. Les causes indiquées ont été très accentuées par le manque de nombreux produits, en, particulier de matières premières; cette insuffisance se manifesta des que les rapports internationaux se détériorèrent avec l'épuisement et l'appauvrissement général [b]. Cette pénurie exigea évidemment une répartition plus parcimonieuse, et par suite rationalisée, organisée. Mais comme le processus de répartition est une des phases du processus de reproduction, il va de soi que l'organisation de la répartition devait conduire inévitablement à une organisation plus ou moins étendue du processus de production. On comprend facilement que la classe des capitalistes dans son ensemble (et les représentants du capital financier en sont l'élément dynamique) gagna à un degré exceptionnel à cette centralisation. Il faudrait être très naïf pour y voir une violation du droit sacré de la propriété privée. En fait, il n'y a pas ici le moindre soupçon d'une quelconque « expropriation des expropriateurs », puisque tout était concentré entre les mains d'une organisation étatique du capital financier, et non entre celles d'une «troisième force» quelconque. L'opposition venait principalement des couches arriérées de la bourgeoisie, en premier lieu des représentants du capital commercial et de la spéculation commerciale. L'organisation de la production et de la répartition exclut par principe le commerce en général et la spéculation commerciale en particulier; par suite, elle exclut le profit commercial et le « profit différentiel» [c], le profit spéculatif. Pour autant que cette organisation de la production et de la répartition se poursuit effectivement elle enfreint les «droits sacrés» de ces catégories notamment. Il serait pourtant ridicule de croire que les «droits » de la classe capitaliste dans son ensemble seraient violés pour autant. Il s'agit là seulement d'une répartition nouvelle de la plus-value au profit des groupes du capital financier, d'une transformation du profit commercial en dividendes ou intérêts payés par la banque d'État. Par suite, il ne se produit pas ici une suppression de la plus-value, mais seulement un changement de forme d'une partie de cette plus-value. C'est en cela que consiste l'essence de l'organisation capitaliste d'État, pour autant qu'il s'agisse des catégories du profit et de la répartition de la plus-value. En ce qui concerne la diminution d'une partie de la plus-value et son versement aux ouvriers, pour se prémunir contre une révolution, il s'agit là d'une question secondaire, qui ne joue pas un rôle essentiel [d]. La limite mathématique de cette tendance est donnée par la transformation de toute «l'économie nationale» en un trust combiné, absolument compact, au sein duquel les diverses « entreprises» ont cessé d'être des entreprises et se sont transformées en simples ateliers particuliers, en filiales de ce trust, où par conséquent la division sociale du travail s'est transformée en une division technique du travail et où toute l'économie est devenue une entreprise unique d'un groupe correspondant de la bourgeoisie mondiale.

Le principe d'organisation commun à cette forme du capitalisme est la subordination de tous les organismes économiques (et d'ailleurs pas seulement économiques) de la bourgeoisie à son État. Prenons en fait toute une série d'organisations bourgeoises : l'État, les syndicats, les cartels et les trusts, les associations patronales, les coopératives, les consortiums bancaires, les sociétés scientifiques, les agences de presse bourgeoises, et cent autres organisations. Un examen théorique rend tout à fait clair que tout ce système atteint le maximum de stabilité grâce aux regroupements, à la fusion, et à l'intégration de toutes ces organisations. Quel est alors l'organisme qui doit avoir la prééminence ? Une fois de plus, il est évident que c'est le plus grand, le plus puissant, le plus étendu. C'est le pouvoir d'État qui constitue précisément cette organisation. L'organisation étatique de la bourgeoisie concentre en elle tout le pouvoir de cette classe. Par conséquent, toutes les organisations avant tout économiques, mais aussi les autres, doivent lui être subordonnées. Elles sont toutes «militarisées». Toutes se transforment en filiales, en départements de l'organisation universelle unique. Le système dans son ensemble ne peut trouver son maximum de stabilité que dans ces conditions. C'est ainsi que prend naissance un nouveau type de pouvoir d'État, le type classique de l'État impérialiste, qui repose sur des rapports de production capitalistes d'État. Dans ce type ; l'«économique» fusionne organisationnellement avec la « politique »; le pouvoir économique de la bourgeoisie s'unit directement à son pouvoir politique; l'État cesse d'être un simple protecteur du processus d'exploitation, et devient un exploiteur capitaliste collectif direct qui s'oppose ouvertement au prolétariat [e]. C'est alors que le développement du pouvoir d'État manifeste toute sa nature dialectique; le pouvoir d'État prit naissance comme forme unique et originale de l'organisation de la classe dominante; il devint ensuite l'une des nombreuses organisations de la bourgeoisie il redevint finalement une organisation fondamentalement unique après avoir absorbé toutes les autres [1].

Les rapports de production capitalistes d'Étatsont, logiquement et historiquement, la continuation des rapports capitalistes-financiers dont ils constituent l'achèvement. Il n'est donc pas étonnant que ces formes d'organisations prises par le capital financier, à savoir les syndicats, trusts et banques, aient constitué le point de départ de leur développement. Le monopole d'État prend la place des trusts en tant qu'organisations privées, qui concentrent la production non seulement sur le plan commercial, mais aussi sur le plan technique.

Les syndicats et les cartels sous forme de trusts sont aussi remplacés par le monopole d'État. Le processus de centralisation se trouve accéléré sous la pression du pouvoir d'État ; c'est ainsi que naissent les syndicats et cartels dits obligatoires (Zwangssyndikate Zwangskartelle). Les entreprises mixte auxquelles l'État participe comme co-propriétaire, gros actionnaire etc. …, et ou la liaison capitaliste-financiere entre l'entreprise privée et l'Étatse manifeste sous la forme de « participation » (Beteilegung), représentent un type de transition. Ces formes sont les plus importantes - au sens où elles restructurent les rapports de production - mais elles ne sont certainement pas les seules; en fait, il existe toute une série de changements moins essentiels, tels que les réglementations d'État et le contrôle du processus de production (fixation d'une production obligatoire, établissement de normes, régulation des méthodes de fabrication, réglementation du système technique interne de production dans son ensemble; la réglementation de la répartition (livraisons obligatoires et recettes obligatoires; approvisionnement étatique, magasins d'État, prix taxés, système de rationnement etc ...) [f]. Les banques jouent ici un rôle organisationnel particulier et extraordinairement important. Elles transfèrent les dépôts à la banque d'État; celle-ci centralise ainsi des sommes énormes (il suffit simplement de rappeler les emprunts de guerre) et les achemine vers l'industrie de guerre. Puisque les dépôts représentent dans une certaine mesure la liquidité périodique du capital, leur «répartition» organisée par la banque d'Étatsignifie alors la soumission effective de l'industrie à la banque d'État et la transformation du profit d'entreprise en intérêts payés par cette banque. Par suite, les rapports de production capitalistes se transforment de cette manière en rapports capitalistes d'État et les différentes sortes du profit capitaliste s'égalisent en se transformant en un « dividende » original, payé par une entreprise capitaliste-collective unique, par une société par action unique, un trust tel que le représente l'État impérialiste [g].

Les types de rapports organisationnels revêtent alors des formes concrètes différentes; ils se différencient par leur caractère fonctionnel : nous avons à faire ici aussi à une organisation planifiée, où naissent de nouvelles unités techniques-productives stables (on peut donner en exemple les trusts obligatoires qui centralisent toute une série d'anciennes unions de production, les monopoles d'État, etc.); il faut aussi rappeler ici la « réglementation » simple (par exemple, l'obligation de dépôt et d'enregistrement (Absatz und Einnahme-Pflicht). Enfin, on trouve ici aussi un élément de moindre importance dans les processus d'organisation : la fixation des normes [h]; les prix taxés peuvent servir d'exemple de ces normes. Il serait cependant erroné d'ignorer le fait que cette tendance générale du développement « capitaliste d'État », qui précipite celle du capitalisme financier, va dans le sens de formes plus élevées d'organisation, qui créent une structure technique de production stable. Le processus d'organisation ne commence pas obligatoirement par l'aspect techmco-productif; le but subjectif de ses agents peut être aussi non pas l'organisation, mais disons le pur calcul commercial et néanmoins le résultat final objectif peut être la création de nouveaux complexes technico-productifs. Ce phénomène pouvait être observé tout à fait clairement à l'époque du capital financier : les syndicats ont débuté comme associations commerciales, opérant sur le marché et pourtant le développement ultérieur a entraîné la création de cartels (sous une forme proche des trusts), puis à la formation de trusts véritables, c'est-à-dire d'associations de type non seulement commercial, mais aussi technico-productif. Mentionnons un autre exemple. La pénétration du capital bancaire dans l'industrie a entraîné la consolidation des entreprises (« fusions », trusts intégrés : etc.). Dans ces cas, les processus d'organisation passent de la sphère de la circulation à celle de la production; cela provient du fait que le processus de circulation constitue un élément « du processus d'ensemble », du processus de reproduction dont toutes les parties et toutes les, phases sont soumises à des lois impératives [i].

Ansi : la réorganisation des rapports de production du capital financier alla dans le sens de l'organisation capitaliste d'État universelle avec l'élimination du marché, la transformation de la monnaie en unité de compte, la production organisée à l'échelle étatique, la subordination de tout le mécanisme de l'économie nationale aux buts de la concurrence mondiale, c'est-à-dire avant tout à ceux de la guerre.

Dans l'analyse précédente, nous avons envisagé les formes organisationnelles grâce auxquelles la structure capitaliste de chaque pays s'est adaptée aux nouvelles conditions d'existence du capitalisme mondial dans son ensemble. Mais nous avons considéré toutes les transformations sous l'angle du dépassement de l'anarchie de la production. Il faut aussi dire quelques mots de l'anarchie sociale. La totalité des rapports de production n'englobe pas seulement les rapports entre les hommes organisés dans les entreprises; il existe une autre différenciation de ces rapports de production, dans la mesure où nous parlons de rapports entre les classes. Il devrait donc aussi se produire dans ce sens une restructuration des rapports, sans quoi tout le système serait hautement instable et de brève durée. Les besoins de la guerre ont aussi joué sur ce point un rôle très important. En effet la mobilisation des prolétaires et de leur esprit pour la guerre et au nom de celle-ci fut une condition aussi nécessaire à la conduite de la guerre impérialiste que la mobilisation de la production matérielle.

Le processus de dépassement de l'anarchie de la production eut comme point de départ les éléments d'organisation déjà élaborés par le capital financier. Le processus de réorganisation sociale devait se fonder aussi sur les facteurs déjà engendrés par le précédent développement. Les formes d'organisation matérielle étaient fournies par les organisations ouvrières : les syndicats, les partis socialistes et en partie les coopératives, avec tout leur appareil auxiliaire et complémentaire. Les formes idéologiques relevaient de la mentalité caractéristique du patriotisme ouvrier, qui représentait en partie une transformation des survivances de l'ancienne mentalité petite-bourgeoise, mais aussi en partie le produit de l'intérêt relatif et temporaire que la classe ouvrière portait à la politique impérialiste. Finalement la méthode de transformation était la même méthode de subordination à l'État bourgeois omniprésent. La trahison des partis socialistes et des syndicats s'exprima précisément en ceci qu'ils se mirent au service de l'État bourgeois, qu'ils furent à vrai dire étatisés par cet État impérialiste, qu'ils se transformèrent en « section ouvrière » de la machine militaire. L'étatisation de ces organisations avait pour équivalent idéologique l'étatisation typiquement bourgeoise de la mentalité prolétarienne; c'est ce qui se traduisit par la théorie de la soi-disant « paix civile », qui connut une grande popularité et fut approuvée jusque dans les milieux prolétariens. Bien entendu, à côté de ces méthodes, les méthodes de pression et d'oppression directe, les mesures coercitives directes, continuèrent à se développer.

C'est ainsi que fut obtenue la stabilité maximale des systèmes partiels capitalistes placés dans les conditions de la grande guerre impérialiste, à savoir les conditions d'une perturbation épouvantable de l'équilibre du système capitaliste mondial tout entier.

Pour que notre analyse concerne toutes les tendances fondamentales à l'organisation du système capitaliste, il faut mentionner aussi les « syndicats » des trusts capitalistes d'État, et ces syndicats spécifiques de « second ordre », qui sont des parties constituantes des trusts capitalistes d'État. En font partie par exemple les « coalitions d'États » ou la « Société des Nations ». Les prémisses de ces organismes ont été fournies par les relations capitalistes-financières et par la somme totale des «participations réciproques ». La guerre renforça le processus de cette fragile syndicalisation des « trusts capitalistes d'État »; les conférences ouvrières interalliées ont été, par ailleurs, l'expression de la même tendance. Les tendances à l'organisation dépassent ici les frontières des États particuliers. Par suite, le processus d'organisation a trouvé sa plus haute expression dans ces tentatives du monde capitaliste.

Tous ces processus se réalisèrent dans les conditions d'une énorme destruction des forces productives. La réorganisation structurelle s'accompagna d'une régression des forces productives. C'est de là que découle en dernière instance l'écroulement inévitable du système tout entier. Il nous faut alors examiner les effets fondamentaux du processus de destruction.

Par forces productives de la société, nous entendons la totalité des moyens de production et des forces de travail. C'est par conséquent la totalité des machines de tous genres, des matières premières, des combustibles, etc. in natura d'un côté; et la totalité des différentes formes de la force de travail in natura (force de travail des métallurgistes, des techniciens, des ouvriers textiles, etc., c'est-à-dire la force de travail de caractères concrets variés et de différentes qualifications), de l'autre [j]. Le développement des forces productives est le fondement du développement humain en général, et c'est de ce point de vue justement qu'il faut analyser tous les faits de la vie sociale. Le point de vue du développement des forces productives s'accorde avec celui de la reproduction : le développement des forces productives correspond à la reproduction élargie, leur état stationnaire correspond à la reproduction simple, leur déclin se traduit par la reproduction d'une partie de plus en plus restreinte des produits périodiquement consommés. Dans ce dernier cas, nous avons affaire à une régression sociale.

Le point de vue de la reproduction est à vrai dire obligatoire pour toute recherche économique. Mais il est doublement obligatoire pour l'économiste qui étudie les périodes « critiques » et les phases de transition du développement. En effet, dans les temps dits « normaux », la répétition périodique des cycles de production est donnée dès le début. Même alors - en particulier dans la société capitaliste - des problèmes spécifiques se posent, mais dans l'ensemble les choses se passent plus ou moins « sans obstacles ». Les époques « critiques » rendent, au contraire, problématique chaque cycle consécutif de production. Par suite, le point de vue de la reproduction est ici le seul méthodologiquement correct en ce sens qu'il analyse les conditions de la répétition des cycles de production, c'est-à-dire les conditions de l'équilibre dynamique du système social. « Littéralement, reproduction signifie simplement répétition, renouvellement du processus de production. C'est pourquoi, au premier abord il est difficile de se rendre compte en quoi la notion de reproduction se distingue en fait de la notion générale de production, et pourquoi il est nécessaire d'employer ici une expression spéciale. Mais cette répétition, ce renouvellement constant du processus de production comporte précisément un élément spécial, très important » [k].

Cette « spécificité », les physiocrates l'avaient déjà parfaitement comprise, mais les laquais « savants » de l'impérialisme l'ont complètement oubliée. Voilà pourquoi la guerre a produit dans sa phase initiale des constructions théoriques vraiment monstrueuses, qui du fait de la réalisation du profit de guerre, de « l'épanouissement » de l'industrie de guerre et de la hausse du cours des actions des entreprises métallurgiques, chimiques et autres, permettaient de conclure à une influence bénéfique (!) de la guerre sur la « vie économique nationale ». Examinons le processus de production réel au moment où toute l'économie se trouve en état de guerre, c'est-à-dire au moment où se produit une nouvelle répartition des forces productives dans l'intérêt de l'industrie de guerre et du travail pour l'armée en général. On a coutume de définir le travail dépensé pour les besoins de la guerre comme travail improductif au point de vue économique. Qu'est-ce que cela signifie ? La signification spécifique de ce travail apparaît clairement si l'on considère son effet sur les conditions de reproduction. Dans le processus de production « normal », des moyens de production et des moyens de consommation sont créés. Ce sont les deux secteurs les plus importants de toute l'économie. Il est tout à fait clair que les moyens de production sont chaque fois incorporés au système du travail social. Leur production est une condition de la reproduction et il en va de même, en gros, pour la production des moyens de consommation. Ces moyens de consommation ne disparaissent pas sans laisser de traces dans les cycles ultérieurs du processus de production. En effet, le processus de consommation est considéré dans ses fondements comme un processus spécifique de production de la force de travail. Et la force de travail est justement une condition nécessaire au processus de reproduction. Par suite, la production des moyens de consommation, tout comme la production des moyens de production, fournit des produits qui représentent la condition nécessaire du processus de reproduction, sans laquelle celui-ci ne peut avoir lieu. La production de guerre a une toute autre signification : un canon ne se transforme pas en élément d'un nouveau cycle productif; la poudre explose dans l'air et ne revient sous aucune forme nouvelle dans le cycle de production suivant. Tout au contraire. L'effet économique de ces éléments in actu est une grandeur purement négative. Il ne faut pas cependant en conclure que la signification économique soit dans ce cas liée inconditionnellement à un genre déterminé de valeur d'usage et de forme matérielle du produit. Examinons par exemple les moyens de consommation qui entretiennent l'armée. Dans ce cas également, on observe la même chose. Les moyens de consommation n'engendrent pas alors de forces de travail puisque les soldats ne figurent pas dans le processus de production : ils en sont exclus, ils sont situés en dehors du processus de production. Tant que continue la guerre, les moyens de consommation servent en grande partie, non de moyens de production de la force de travail, mais de moyens de production d'une «force militaire» spécifique, qui ne joue aucun rôle dans le processus de production. Il en découle que le processus de reproduction revêt avec la guerre un caractère « déformé », régressif, négatif : dans tous les cycles productifs ultérieurs la base réelle de la production devient toujours plus étroite; le « développement » s'accomplit selon une spirale qui ne s'élargit pas, mais qui se rétrécit constamment.

Il faut encore relever une circonstance importante. L'armée qui représente une demande colossale pour son entretien ne fournit pas de contrepartie en travail. Il s'ensuit qu'elle ne produit pas, mais prélève; autrement dit, on en arrive dans ce cas à une double perte du « fonds de reproduction ». Cette circonstance constitue le facteur de destruction le plus important. En plus il faut mentionner les destructions directes de la guerre (routes détruites, villes incendiées, etc.) et toute une série de destructions indirectes (déqualification de la force de travail, etc.). Il est clair, aussi, que la base réelle de la production sociale se réduit lors de chaque rotation du capital social. Nous n'avons pas alors affaire à une reproduction élargie, ni même à une reproduction simple; il s'agit ici d'une sous-production sans cesse croissante. On peut appeler ce processus reproduction élargie négative. Telle est la guerre considérée du point de vue économique. Le processus qui a réellement lieu est ainsi une reproduction élargie négative [2]. Il faut distinguer ce processus de son expression capitaliste en valeur-papier déformée et fétichisée. C'est sur la confusion de ces deux processus - le processus matériel et de travail, d'une part, le processus formel d'autre part que repose la théorie monstrueuse de l'effet positif de la guerre. En effet, on peut conclure de ce que nous avons dit précédemment, que la forme du profit capitaliste manifeste la tendance, propre au régime capitaliste d'État, à se transformer en intérêts payés en titres d'État. Ces titres représentent, à un degré important, un droit sur des valeurs futures réelles. Ils peuvent en même temps être mis en circulation et même s'accumuler en grande quantité. Leur existence est une chose, et la possibilité objective de leur réalisation en est une autre. Comme il se produit dans le processus de la guerre une réalisation de la valeur en tant que revenu, celle-ci peut être considérée soit comme « consommation » du capital constant, soit comme réalisation de la somme décroissante de la plus-value grâce à sa redistribution en faveur des grands groupes capitalistes. Une grande quantité de titres accumulés constitue des signes de valeur, dont la réalisation repose entièrement sur l'avenir, et dépend d'une part des conditions de la reproduction capitaliste, et de l'autre de l'existence du système capitaliste lui-même. Il est compréhensible que l'énorme inondation de titres sous les formes les plus diverses puisse devenir tout à fait incommensurable par rapport au processus de travail réel et, dans les conditions du système capitaliste, cela deviendra un indice de son écroulement. C'est ainsi que la reproduction élargie négative se développe parallèlement à l'accumulation des titres.

Mais ce que nous venons de dire n'implique nullement l'inutilité des « dépenses » et l'évaluation négative de l'aspect destructeur de ce processus au point de vue capitaliste. Toute crise capitaliste équivaut à une destruction temporaire des forces productives. Mais il faut la juger du point de vue du système capitaliste, en allant au-delà du cadre de quelques cycles de production. Car en dernière instance, la crise élargit le cadre du développement ultérieur du système capitaliste. Il en va de même en cas de guerre. Supposons que la guerre mondiale se soit terminée la seconde année par la victoire d'une des coalitions de puissances. Il est indubitable que dans une telle situation le régime capitaliste aurait eu de grandes chances, après une période de destruction, de se relever : dès que l'on aurait « pansé les plaies », c'est-à-dire après avoir renoué les relations et restauré les éléments détruits du capital constant, le mode de production capitaliste aurait retrouvé la possibilité d'un certain développement ultérieur et cela sous une forme plus élevée et plus centralisée qu'auparavant. Ainsi, ce qui se présentait comme perte nette au point de vue des cycles de production directement liés ou apparentés à la guerre, pouvait aussi se révéler, an point de vue du mouvement général du système capitaliste dans sa grande portée historique, comme une réduction transitoire des forces productives au prix de laquelle aurait été obtenu un développement ultérieur et plus puissant de ces forces. Autrement dit, nous aurions affaire à une crise, de forme et de dimension jamais atteintes, mais nullement à un effondrement du système capitaliste. Celui-ci poursuivrait son développement après une certaine stagnation, sous des formes organisationnelles plus élaborées.

La question : crise ou effondrement dépend du caractère concret de l'ébranlement du système capitaliste, de sa gravité et de sa durée. Sur le plan théorique, il est tout à fait clair que le processus de reproduction élargie négative ne peut se poursuivre que jusqu'à une certaine limite, au-delà de laquelle commence une désagrégation et une désintégration de l'organisation toute entière. Nous pouvons maintenant commencer à examiner cette question.

Le processus de reproduction n'est pas seulement un processus de reproduction des éléments matériels de la production, mais aussi un processus de reproduction des rapports de production eux-mêmes [l]. La reproduction élargie est la reproduction élargie des rapports de production donnés : leur champ, leur extension spatiale, deviennent toujours plus grands; la méthode de production donnée «s'étend» en se réorganisant dans ses détails internes; autrement dit, la reproduction des rapports capitalistes de production les reproduit fondamentalement dans la mesure où le rapport entre capital et travail salarié est maintenu et élargi en permanence. Mais à l'intérieur de ce rapport, les détails de la structure de production changent constamment; il suffit de mentionner la croissance de ce que l'on nomme la « nouvelle couche moyenne ». Que se passe-t-il lors de la reproduction élargie négative ? Pour répondre à cette question, il faut s'attarder plus en détail sur le problème de la structure sociale dans son ensemble.

Tout d'abord que sont les « rapports de production » dont il s'agit ici ?

Marx les définit comme des rapports entre les hommes dans le processus du travail social et de la répartition des produits de ce travail. Pour parler concrètement, les rapports entre les capitalistes, les contremaîtres, les techniciens, les ingénieurs, les ouvriers qualifiés et non qualifiés, les commerçants, les banquiers, les usuriers, etc. appartiennent à la société capitaliste dans la mesure où les rapports entre ces éléments sont considérés dans leur combinaison réelle donnée. Par suite, la catégorie des rapports de production est une catégorie générale qui concerne le système social; elle englobe aussi bien les rapports sociaux de classe (rapports entre ouvriers et capitalistes) que tous les autres types de rapports (par exemple, les rapports entre deux entreprises, le rapport de coopération tel que la coopération dite simple, etc.) [m]. On doit remarquer que les rapports de production ne sont pas quelque chose de différent de l'organisation technique du travail, dans la mesure où nous parlons des rapports internes au processus direct de travail. Dans la réalité, ils se fondent l'un dans l'autre. La fabrique n'est pas seulement une catégorie technique, mais aussi une catégorie économique [n], puisqu'elle est un complexe de rapports sociaux de travail et de rapports de production. Marx cite la hiérarchie de la fabrique sous le commandement du capital (Kommando das Kapitales) comme exemple des rapports de production capitalistes. Les éléments techniques (la force de travail de l'ingénieur, du directeur, du mécanicien, du contremaître, des ouvriers, des manœuvres) sont en même temps des éléments de l'organisation économique et dans la mesure où ils sont liés à un cercle permanent de personnes leur caractéristique sociale de classe se manifeste aussi. Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque les classes représentent avant tout [3] des groupes de personnes unies par des conditions communes et par un rôle commun dans le processus de production, avec toutes les conséquences qui en dérivent pour le processus de répartition. La hiérarchie capitaliste dans la production est accompagnée de la hiérarchie capitaliste dans la répartition. Ce sont deux aspects d'un seul et même phénomène, aspects indissolublement liés, étroitement fusionnés.

Les rapports de production sont des rapports entre les hommes comme éléments d'un système déterminé. Mais ce serait trop simplifier si l'on voulait opposer un type déterminé de relations à ces éléments. La société n'est pas une somme d'éléments; elle n'est pas non plus la somme arithmétique des éléments et de leurs relations. Car le lieu social n'est pas en dehors et à côté de ces éléments. La répartition spatiale des personnes dans le processus technique de travail et leur rôle fonctionnel s'accumulent et se fixent dans les éléments humains. Les liens sociaux se transforment ainsi et trouvent leur expression dans la « structure interne » des éléments eux-mêmes; le type de relations sociales est présent dans la tête des individus.

Ainsi : la structure sociale donnée, et le mode de production donné, est d'une part un type déterminé de relations mais d'autre part ces éléments eux-mêmes sont à leur tour déterminés par ce type.

Les rapports de production déterminent tout le reste. La cause en est facile à comprendre. Si les rapports de production incorporaient un certain type de relations et si les rapports d'un autre genre (par exemple l'organisation étatique), étaient élaborés selon un autre type, le système dans son ensemble se montrerait absolument instable. Les rapports de production capitalistes sont totalement impensables sous une domination politique de la classe ouvrière, tout comme les rapports de production socialistes seraient inconcevables sous l'hégémonie politique du capital. Par suite, chaque type de société doit être inévitablement caractérisé par le monisme de sa structure, qui présente la condition fondamentale d'existence de tout système social.

La société capitaliste se distingue au plus haut degré par ce monisme. La « constitution » de l'usine, du régiment, de la chancellerie d'État, est construite selon un seul et même principe, et le type hiérarchique des rapports de production trouve son expression dans la hiérarchie adéquate du pouvoir d'État, de l'armée, etc. Au sommet la classe des possédants, tout en bas, la classe des non-possédants, et au milieu toute une gradation de groupes intermédiaires. Le capitaliste et le directeur d'usine, le général, le ministre ou le haut fonctionnaire sont des hommes à peu près de la même classe; et le caractère de leurs fonctions est du même type, malgré la diversité de leurs sphères d'activité. Ces fonctions leur sont inhérentes; par conséquent, elles comportent non seulement un simple caractère technique, mais en même temps un caractère de classe très prononcé. L'ingénieur, l'officier, le fonctionnaire moyen, sont aussi des hommes d'une seule et même classe et leurs fonctions sont de type semblable. Les petits employés (le facteur, le portier, le coursier), l'ouvrier, le soldat, occupent aussi une place similaire et le système hiérarchique de classe se révèle comme principe universel.

Le capitalisme est un système antagoniste, contradictoire [4]. Mais l'antagonisme des classes qui divise la société en deux classes fondamentales s'exprime partout de façon cohérente. Il s'ensuit que la structure du capitalisme est un antagonisme moniste, ou un monisme antagoniste [5].

Nous avons considéré la société comme un système d'éléments in natura [6]. Il faut à présent développer ce point de vue dans toutes ses conséquences. Ce point de vue, comme celui de la reproduction, est catégoriquement obligatoire pour l'analyse de toute époque « critique », et par conséquent aussi pour la période de désagrégation du capitalisme. En période « normale », lorsque les conditions d'un équilibre dynamique du système social sont réalisées, on peut s'en tenir au plan de l'expression fétichiste des rapports sociaux, car celui-ci possède un caractère stable et suppose des processus sociaux de travail déterminés parfaitement réels et matériels qui en sont le fondement. Les rapports monétaires, la catégorie de la valeur, etc. sont des catégories générales de l'économie capitaliste, et nous pouvons nous en servir pour l'analyse des périodes « normales » puisqu'elles sont elles-mêmes normales pendant ces « périodes ». La loi de la valeur est la condition fondamentale de la structure anarchique de production; elle est la condition sine qua non de l'équilibre dynamique du système capitaliste.

Les choses se présentent tout à fait autrement si le système de production se trouve dans des circonstances « anormales », ce qui veut dire que les conditions de l'équilibre dynamique manquent. Il s'ensuit que sur le plan méthodologique aussi il est absolument inadmissible de poursuivre l'analyse selon les rapports de valeur et selon les catégories des rapports fétichistes en général. Au contraire, il faut en ce cas considérer la forme naturelle des choses et des forces de travail, penser selon ces unités et analyser la société elle-même comme organisation d'éléments dans leur caractéristique naturelle objectivée [o].

Rudolf Goldscheid a parfaitement saisi cette vérité en écrivant : « En général, la guerre actuelle doit avant tout nous accoutumer à une pensée approfondie en termes d'économie naturelle … Presque toutes .. les questions économiques apparaissent insolubles si on les envisage simplement en termes d'économie monétaire, et elles apparaissent au contraire comme relativement simples au point de vue de l'économie naturelle » [p].

Tout cela permet de comprendre pourquoi il en est ainsi : la société capitaliste s'est disloquée et les catégories de l'équilibre ne peuvent être adéquates à une époque « critique ».

La question générale se pose alors de la manière suivante : qu'arrive-t-il au système social sous sa forme naturelle, sous la forme des éléments naturels en relation, dans les conditions de la reproduction élargie négative ?

On a la série suivante dans les formules de la valeur-travail : c + v + pl; c + v + (pl - x); c + v; c + (v - x); (c - y) + (v - nx), etc. [q.

De la sorte, la valeur devient incommensurable au prix. On voit facilement que du point de vue du système capitaliste la situation n'est pas dangereuse tant que le développement de la reproduction négative a lieu aux dépens de pl. Au-delà de ces limites commencent d'une part « l'érosion » du capital fixe, et de l'autre une sous-consommation de la classe ouvrière, un fonctionnement incertain de la force de travail et un exercice défectueux de son rôle de formation du capital, c'est-à-dire une perturbation dans la reproduction de la force de travail. Ce processus s'exprime de deux façons : d'abord par l'élimination de la force de travail hors du processus de production, ensuite par la diminution du salaire réel, par la sous-production d'énergie constituant la force de travail, par la déqualification de celle-ci, et en dernière instance par la rupture du lien entre les éléments inférieurs et supérieurs de la hiérarchie technique de production. Les rouages « inférieurs » de la machine capitaliste qui ne sont plus graissés convenablement, se détraquent. On observe dans ce cas les deux formes principales de la rupture des liens : 1. le pourrissement et la décomposition des liens (par exemple, le refus individuel du travail, la baisse de la discipline du travail chez les fonctionnaires; négligence, corruption, non-respect de l'honnêteté commerciale, etc.); 2. la rupture révolutionnaire des liens (refus massif de travail par les ouvriers, grèves, toute sorte d'insubordination organisée envers la classe capitaliste).

Ce processus de désintégration des rapports capitalistes s'observe à un niveau déterminé de la reproduction élargie négative; dès qu'il s'amorce, il embrasse toutes les sphères du système capitaliste. Inculquée aux éléments inférieurs, la mentalité capitaliste de l'obéissance aux possédants se volatilise, et sa fonction capitaliste devient impossible. D'autre part, parmi les éléments supérieurs du système, là où la fonction technique coïncide avec l'intérêt de classe, et où l'intérêt de classe le plus important et fondamental correspond aux intérêts du maintien du système de production donné, la mentalité de lutte pour le maintien de ce système se renforce. La lutte de classes latente qui mine les rapports de production pendant la période de désintégration se fraye la voie sous forme de lutte révolutionnaire affirmée au moment de la rupture violente des rapports de l'appareil capitaliste. Ce qui se passe dans la production se réalise aussi mutatis mutandis dans l'armée et dans l'appareil administratif de l'État.

Nous avons déjà vu que le processus de désintégration survient de façon absolument inévitable une fois que la reproduction élargie négative a absorbé la plus-value sociale (pl). L'examen théorique ne peut pas assurer avec une sûreté absolue quand précisément, dans quelle donnée numérique concrète commence la période de désintégration. C'est déjà une quæstio facti. La situation concrète de l'économie en Europe au cours des années 1918-1920 montre clairement que ce processus de désintégration a déjà commencé et qu'en outre il n'y a aucun symptôme [7] de renaissance de l'ancien système des rapports de production. Au contraire [8], tous les faits concrets indiquent que les éléments de dissolution et de rupture révolutionnaire des liens progressent de mois en mois. Théoriquement, cela paraît tout à fait compréhensible. En effet, la société capitaliste, divisée en classes, ne peut subsister que lorsque la mentalité de la paix civile est pour ainsi dire généralement admise; autrement dit [9], que lorsque et tant que la classe ouvrière dans son ensemble, cette force productive fondamentale de la société capitaliste, « consent » facilement à remplir une fonction capitaliste. Une fois que cette condition disparaît, l'existence ultérieure de la société capitaliste devient impossible.

Le marxisme révolutionnaire a établi avec précision que (dans le domaine de la politique) le passage du pouvoir des mains de la bourgeoisie à celles du prolétariat - passage compris comme processus historique déterminé - trouve son expression dans l'effondrement de l'ancienne machine d'État qui se désintègre en ses éléments composants. L'État, en fait, n'est pas un objet qui passe de mains en mains, d'une classe à l'autre, et dont on puisse hériter selon les lois solennelles du droit familial bourgeois. La conquête du pouvoir d'État par le prolétariat signifie la destruction du système étatique bourgeois et la création d'un nouveau système d'État dans lequel les éléments de l'ancien système tombé en ruine sont en partie détruits et entrent en partie dans de nouvelles combinaisons, dans un nouveau type de relationsr]. Tel était aussi le point de vue de Marx et d'Engels. Et néanmoins l'écrasante majorité des théoriciens pseudo-socialistes maintiennent une conception extraordinairement primaire de la « conquête du pouvoir » : on change la « tête », « le gouvernement » et « tout l'appareil » se trouve ainsi conquis.

La théorie révolutionnaire de Marx a fait ses preuves à présent dans ce domaine des relations non seulement par des considérations abstraites, mais aussi empiriquement.

Le processus de transformation des rapports de production est pour sa part beaucoup moins clair. Les idées qui prédominaient dans la théorie des bouleversements politiques se sont révélées extraordinairement tenaces sur ce point. Le jugement de R. Hilferding [s] à ce sujet est typique : d'après lui, la prise de possession de six grandes banques par le prolétariat met toute l'industrie à la disposition de celui-ci parce que, dans les rapports de production du capitalisme financier, les banques représentent les nœuds de l'organisation du système technico-productif, « de tout l'appareil ». Empiriquement, il est démontré qu'il ne se produit rien de semblable, puisque en réalité la prise de possession des banques mine seulement le pouvoir de commandement du capital. Pourquoi cela ? Le problème se résoud assez simplement. Parce que les banques « administrent» l'industrie sur la base de rapports du crédit monétaire. Le type de liens est ici le lien du crédit, qui s'effondre précisément avec la conquête des banques par le prolétariat [10].

Après ce que nous avons dit, il ne sera pas difficile de comprendre, sur le plan théorique, les causes de la dissolution des différents genres de rapports hiérarchiques dans la société capitaliste, et cela dans les conditions du processus de reproduction élargie négative.

Le processus de désintégration, et plus tard celui de la rupture révolutionnaire des liens capitalistes, s'observe de la meilleure façon dans l'armée. L'armée impérialiste entre dans la voie de la décomposition parce que - pour parler trivialement - « la discipline des soldats se relâche », c'est-à-dire parce que les éléments inférieurs de la hiérarchie ne peuvent plus servir de chaînons à cette hiérarchie. La rupture révolutionnaire des liens se produit lors d'une désorganisation de masse plus ou moins organisée de « l'ensemble de l'appareil », ce qui constitue une condition nécessaire à la victoire de la nouvelle classe. Cette désorganisation signifie aussi l'écroulement du système donné. Considérée objectivement, une « anarchie transitoire » est donc une étape absolument inévitable du processus révolutionnaire qui trouve son expression dans l'effondrement de l'ancien « appareil ».

Il arrive à peu près la même chose à l'appareil technique de production de la société capitaliste. Comme nous l'avons vu, les rapports de production sont en même temps des rapports techniques, et la hiérarchie sociale est en même temps une hiérarchie technique. Il est donc tout à fait clair que la décomposition et la rupture révolutionnaire des maillons sociaux du système, comme indices inévitables de l'écroulement, signifient la désintégration de « l'appareil technique » de la société pour autant que nous ayons en vue l'organisation technique des hommes de cette société. Il résulte de là que l'on ne peut jamais entièrement « conquérir » l'ancien appareil économique. « L'anarchie » dans la production, ou, comme l'appelle le Prof. Grinewetski, la « décomposition révolutionnaire de l'industrie » [t], est une étape historiquement inévitable à laquelle on ne peut échapper par aucune espèce de lamentation. Il serait sûrement excellent, d'un point de vue absolu, que la révolution et l'écroulement des anciens rapports de production ne s'accompagnent d'aucune décomposition des rapports techniques de production. Mais un sobre jugement des processus réels, leur analyse scientifique, nous montrent que la période de cette désintégration est historiquement inévitable et historiquement nécessaire.

La dissolution de la hiérarchie technique qui intervient lors d'une phase déterminée du processus de reproduction élargie négative, exerce à son tour une pression sur l'état des forces productives. Les forces productives n'existent qu'étroitement imbriquées aux rapports de production dans un système déterminé d'organisation sociale du travail. C'est pourquoi la désagrégation de « l'appareil » doit inévitablement s'accompagner d'une diminution ultérieure des forces productives. De cette façon, le processus de reproduction élargie négative se trouve considérablement accéléré.

Il découle de l'analyse précédente qu'aucun « rétablissement de l'industrie » n'est possible sur la base des rapports en décomposition [11] (rapports anciens, capitalistes) comme le rêvent les utopistes du capitalisme. La seule issue est que les éléments inférieurs du système, la force productive fondamentale de la société capitaliste, la classe ouvrière, assume une position dominante dans l'organisation du travail social. Autrement dit, la construction du communisme est la seule condition d'une renaissance de la société [u]. Sur le plan théorique, cela ne suffit naturellement pas encore à montrer comment le communisme peut être réalisé. La question de prémisses du communisme et de la vraisemblance de sa réalisation ne coïncident en aucune façon sur le plan logique avec celle de l'écroulement du capitalisme. Théoriquement, on peut penser à une désagrégation continue, à un « déclin de la culture », à un retour aux formes primitives de l'économie médiévale semi-naturelle, bref à cette fresque peinte par Anatole France dans les dernières parties de l'Ile des Pingouins. Nous laissons provisoirement cette question de côté pour en reprendre l'examen plus tard. Mais nous pouvons déjà affiner qu'un rétablissement de l'ancien système capitaliste est impossible [12]. Les éléments de l'appareil technique de production (les éléments humains) devront être réassortis dans de nouvelles combinaisons, devront être reliés par des liens d'un nouveau genre pour que le développement de la société soit possible. L'humanité se trouve devant le dilemme suivant : ou le « déclin de la culture», ou le communisme; il n'y a pas de troisième voie.

Pour supposer qu'après une série de cycles de production les forces productives puissent commencer à croître, il faut qu'une condition préliminaire fondamentale soit donnée : la croissance des rapports de production socialistes (qui évoluent vers le communisme). Dans ce cas, les «faux-frais de la révolution» (« l'interruption du processus de travail» tout autant que les dépenses directes d'énergie sociale dans le processus de la guerre civile) représenteront le prix que l'humanité devrait payer pour acquérir la possibilité d'un développement ultérieur.

La révolution communiste du prolétariat s'accompagne, comme toute autre révolution, d'une diminution des forces productives. La guerre civile, les dimensions gigantesques à la mesure de la guerre de classes moderne où non seulement la bourgeoisie mais aussi le prolétariat sont organisés en pouvoir d'État, signifie une pure perte sur le plan économique et du point de vue de la reproduction immédiate des cycles. Nous avons déjà vu, d'après l'exemple des crises et des guerres capitalistes, qu'une réflexion menée de ce point de vue ne peut être que limitée; il faut examiner le rôle du phénomène en question, à partir des cycles de reproduction ultérieurs à grande échelle historique. Vus dans cette perspective, les faux-frais de la révolution et de la guerre civile apparaissent comme une diminution temporaire des forces productives, qui crée néanmoins la base de leur puissant développement ultérieur en ceci que les rapports de production ont été reconstruits selon un nouveau plan. [v].

La reconstruction des rapports de production présuppose le « pouvoir du prolétariat », son « commandement » dans l'appareil d'État comme dans l'armée, élément de cet appareil, et dans la production.

Dans le processus de la lutte pour le pouvoir et de la guerre civile durant la période de la dictature prolétarienne la courbe des forces productives continue à s'abaisser avec une croissance simultanée des formes d'organisation. Cette croissance des formes d'organisation se produit contre la résistance des « officiers de l'industrie », c'est-à-dire de l'intelligentsia technique qui refuse d'exister dans un système hiérarchique différent de celui dans lequel elle existait jusque-là (en premier lieu par ce qu'on appelle le sabotage). Mais la résistance de cette couche est beaucoup moins dangereuse pour la croissance du nouveau système que la résistance de la classe ouvrière pour le système des rapports capitalistes.

Du point de vue du maintien et du développement de la société humaine, les rapports de production socialistes ne peuvent être que la seule issue, puisqu'eux seuls sont en mesure de créer les conditions d'un équilibre dynamique relatif du système de production sociale.

Notes de Lénine

[1] Il est évident que le « type pur » du capitalisme d'État ne se manifeste dans la réalité que comme une tendance.

[2] Ouf ! au secours !

[3] Les classes représentent avant tout des « groupes de personnes » (ce n'est pas dit de façon très précise) qui se distinguent par leur position dans le système social de production, de façon qu'un groupe peut s'approprier le travail de l'autre.

[4] Archi-incorrect. L'antagonisme et la contradiction, ce n'est pas du tout la même chose. Dans le socialisme, l'antagonisme disparaîtra tandis que la contradiction demeurera.

[5] Ouf !

[6] Au secours !

[7] Ein bischen zu viel ... qui prouve trop…

[8] « Au contraire » cela n'a pas marché…

[9] Ça, c'est juste.

[10] Très bien, et ça pourrait être encore mieux si au lieu de dire « type de liens » on disait la même chose plus simplement.

[11] Ouf !

[12] Cela dépend dans quelle mesure le prolétariat saura, à partir de « la décomposition des rapports » (quel langage ! voilà la « sociologie », voilà la « science » d'organisation !) provoquer leur effondrement total.

Notes de l'auteur

[a] Dr Herbert von BECKERATH, « Zwangskartellierung oder freie Organisation der Industrie", in Finanz und volkswirtschaftiche Zeitfragen : édité par Schanz et J. Wolf, fasc. 49, Stuttgart, 1918, p. 23. Le professeur bourgeois comme il convient à un valet du capitalisme, décrit naturellement l'État de classes sous le pseudonyme de « peuple ». Il néglige alors le fait que les « marchés de débouchés » ne sont pas seuls à jouer un rôle mais aussi les marchés des matières premières et es sphères d'investissement du capital, c'est-à-dire justement les facteurs qui correspondent a trois éléments de la formule

A - M < ( T / Mp) ... P ... M' - A, où A = argent, M = marchandise, T = force de travail, Mp = moyens de production, P = capital productif (cf. infra, p. 112).

[b] Arthur FELLER, rédacteur du Frankfurter Zeitung l'a souligné de façon très dure dans son ouvrage Vor der übergangswirtschaft, édition du Frankfurter zeitung, 1918, Cf. en particulier le chapitre « Kriegszozialismus und Wirtschaftsfreiheit », pp. 33 et seq. Sa formule énonce : « Nous avons organisé la pénurie ». Emil LEDERER a traité la question de façon beaucoup plus large (Der Wirtschajtsprozess im Kriege) : « La guerre constitua économiquement pendant un temps un problème des finances de l'État. Mais aujourd'hui l'État est omnipotent. C'est pourquoi son action vers l'extérieur n'apparaît pas sous la forme d'une entreprise, celle-ci n'est plus une affaire économico-financière, ni un problème monétaire, mais devient la substance naturelle de l'économie toute entière mobilisée pour la guerre.» (p. 362).

[c] Cf. Rudolf HILFERDING, Le capital financier, Paris, Ed. de Minuit, 1970, ch. IX, « La bourse des marchandises », p. 220. « L'économie de guerre, cependant, ferme la bourse et, par suite, toute sa problématique cesse ». (E. LEDERER, Der Wzrtschajtsprozess im Kriege.)

[d] Dans son article « Les processus de désorganisation et d'organisation dans la période de transformation» (dans la revue Narodnoié khoziaistvo (Economie nationale), 1919, n° 6), la camarade M. SMIT distingue d'une part «l'échange fondé sur la fonction génératrice de capital de l'argent» (A - M - A') et, d'autre part l'échange « qui a pour but l'échange de marchandises » et postule que la répartition dans le capitalisme d'État constitue le passage du premier au second. C'est là une incroyable confusion. Tout d'abord, l'argent n'a jamais eu nulle part une « fonction génératrice de capital » et ne l'a pas plus maintenant. Ensuite un passage à une économie marchande simple (formule A - M - A) n'existe pas du tout dans la société capitaliste d'État. Ce qui existe, c'est une tendance à l'abolition de l'économie marchande à l'intérieur du pays et au changement de forme de la plus-value. Mais c'est là une tout autre question.

[e] Sur le capitalisme d'État, cf., en plus de l'ouvrage cités, les travaux suivants : F. PINNER, « Die Konjunktur des wirtschaftlichen Sozialismus », in Die Bank, avril 1915 ; Pr. JAFFE, « Die Militarisierung unseres Wirtschaftsleben » in Archive für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 1915, 40, vol. 3, fasc. V; Y. GUYOT, «Les problèmes économique de l'après guerre» in Journal des Economistes, 15 août 1915 ; Pr. Karl BALLOD, « Eineges aus der Utopienliteratur der letzen Jahar », in Grünbergs archiv für die Geschichte des Sozialismus, 6° année, fasc. 1; Walter RATHENAU, «Die neue Wirtschaft» et «Der neue Staat»; G. BERNARD, «Uebergangswirtchaft», Berlin, 1918; Monopolfrage und Arbeiter Klasse (Recueil d'archive de droit social-démocrate); parmi les travaux russe, il faut signaler les articles et les brochures du camarade LARINE (M. LOURIE), en particulier sur l'organisation de l'industrie allemande. Cf. aussi N. OSSINSKY, Stoitelstvo sotsialisma (La construction du socialisme – les premiers chapirtes).

[f] Sur l'Allemagne, cf. les indications de Johann MULLER dans « National-oekonomische Gesetzgebung », Jahrbucher fur National-oekonomie und Staat, 1915. Sur la France, cf. Ch. GIDE, «The Provisoning of France and measures to that end» (The Economie Journal, mars 1916) et les données de la revue anglaise The Economist (sur l'Angleterre).

[g] Au sujet des normes juridiques et des formes. de rapports capitalistes d'État, cf. le Pro HATSCHEK, «Die Rechtstechmk des Knegssozlalismus» (Deutsche Revue, juin 1916).

[h] On se sert de cette terminologie dans le sens où le camarade A, BOGDANOV l'emploie. Cf. son article sur les tendances de la culture prolétarienne ainsi que dans Vseobchtchaia orgamzatswnnaza naouka (Science universelle de l'organisation).

[i] Le camarade BOGDANOV préfère voir dans tout le processus d'organisation du temps de guerre, simplement des « cartes », c'est-à-dire un processus de rationnement, résultant de la régression des forces productives .. En réalité, le processus de rationnement revêt au contraire une signification beaucoup plus profonde. La régression des forces productives n'exclut nullement le progrès des formes d'organisation du capitalisme [*]. Il en allait de même aussi dans les périodes «normales» et, précisément au cours des crises, lorsque la régression temporaire des forces productives s'accompagnait d'une centralisation accélérée de la production et de l'apparition de nouvelles organisations capitalistes. Engels lui-même a commis cette erreur - mutatis mutandis - lorsqu'il parla des syndicats et des trusts. Il ne faut pas répéter cette erreur aujourd'hui

[*] MARX parlait plus simplement (sans fioritures du genre « terminologie », «système», et autres sociologies) et plus correctement du problème de la socialisation. L'auteur fournit des faits nouveaux, mais esquinte, verbalement, la théorie de MARX par sa scolastique « sociologique ». (note de Lénine)

[j] On ne peut faire comme MASLOV (Agrarnyi vopros, vol. l, Teorija razvitija narodnovo Khoziaistia i drougieraboty) (La question agraire, vol. l, Théorie du développement économique et autres travaux), dans sa définition des forces productives, c'est-à-dire placer les moyens de production et le travail vivant dans la même parenthèse, en additionnant une grandeur statique et un processus. Ce n'est pas le travail qui est adéquat aux moyens de production, mais la force de travail. Au sujet des forces de production, cf. K. MARX, Le Capital, Misère de la philosophie, etc. Cf. aussi « Production» ln Nouveau dictionnaire d'Economie politique, publié sous la direction de Léon SAY «( puissance productive ... l'ensemble de ces éléments envisagés comme des forces »); KLEINWACHTER, « Die volkswirtschaftliche Producktion in allegemeinen » in SCHOENBERG, Handbuch ; B. HARMS, « Arbeit », in Handwoerterbuch der Staatswissenschajten ; LEXIS, « Produktion », id.; LEXIS, Allgemeine Volkswirtschajtslehre, 1910; WATKINS, « Third factor in variation of productivity », in The American Economie Review, décembre 1915 (Vol. V, n° 4); F. OPPENHEIMER, Theorie der reinen und politischen Okonomie, § « Die produktiven Krafte » (pp. 138-139 sq.); R. HILFERDING, Eine neue Untersuchung über die Arbeitsmittel. On trouve des formulations précises dans RODBERTUS, Zur Beleuchtung der sozwlen Frage, 1° partie, 2° édition, présentée par Moritz WIRTH, Berlin, 1890, p. 60 (Forces productives et productivité sont deux choses qu'il faut bien distinguer. Productivité signifie efficacité ou fécondité de la force productive ». Autrement dit, RODBERTUS considère les forces productives in Natura). Cf. aussi Friedrich LIST, Le système national de l'économie politique, 1841, trad. franç., Paris, 1857. (Il existe une analyse critique de ce texte par K. Marx, in MARX-ENGELS, Critique de l'Economie nationale, Paris, EDI, 1975. N.D.L.E.)

[k] Rosa LUXEMBURG, L'accumulation du capital, Paris, Maspero, 1967, vol. I, p. 25.

[l] Cf. K. MARX, Le Capital, Livres II et III.

[m] Monsieur Pierre STROUVÉ a délibérément exclu les rapports de production de l'analyse dans son livre Khoziaistvo i tsena (Economie et prix) de façon à soutenir que les rapports sociaux de classes sont un attribut éternel de toute société. Cf. à ce sujet notre article, « Les acrobaties de M. STROUVÉ » dans la revue marxiste Prosvechtchenié, n° 129, 1913.

[n] Cf. K. MARX, Misère de la philosophie, Paris, Ed. sociales, 1972.

[o] De nombreux camarades ne comprennent pourtant pas cela et attribuent à des lois relatives, ayant une signification historique déterminée une réalité absolue supranaturelle. Même notre comptabilité de l'économie socialiste dans son état embryonnaire « repose » sur cette conception erronée. Et cela se produit juste au moment où l'expression en valeur de l'argent est incommensurable au processus réel de travail et où ce dernier ne règle pas la répartition des forces productives.

[p] R. GOLDSCHEID, Staatssozialismus oder Staatskapitalismus. Ein finanzsoziologischer Beitrag zur Losung des staatsschuldenproblems, 4° et 5° éditions, Vienne-Leipzig, 1917.

[q] N. BOUKHARINE considère que les valeurs détruites (économiquement négatives, cf. p. 77) par le fonctionnement des armées réduisent d'abord le revenu réellement consommé d'où il retranche x comme une sorte de raison dans une progression arithmétique jusqu'à nx, puis le capital constant accumulé (suivant une raison arithmétique y), y semble donc représenter les valeurs détruites de moyens de production et x celles des moyens de consommation. (NDLE.)

[r] Cf. à ce sujet l'ouvrage du camarade LÉNINE, L'État et la Révolution, ainsi que notre essai : « Teoria proletarskoi diktatoury » in le recueil Oktiabrskii perevorot i Diktatoura proletariata.

[s] R. HILFERDING, Le capital financier, op. cit., p. 493.

[t] Professeur GRINEVETZKII, Poslevoiennye perspektivy rousskoi promychlennosti.

[u] Le professeur GRINEVETSKII examine la question dans son livre, comme il convient également à un apologiste du capitalisme dont l'horizon mental ne dépasse pas la « conception du monde » d'un homme de syndicat, exclusivement du point de vue des rapports de production capitalistes comme une catégorie éternelle et universelle de l'être humain. L'aveuglement vraiment extraordinaire qui distingue les savants bourgeois à l'époque des grandioses bouleversements sociaux, apparaîtra tout à fait comique au futur historien des idéologies [**].

[**] Très bien! (note de Lénine)

[v] Les théoriciens du marxisme châtré, du genre KAUTSKY, ont une conception vraiment infantile des bouleversements révolutionnaires. Pour eux les problèmes théoriques et pratiques les plus difficiles simplement n'existent pas; ils tournent dédaigneusement le dos aux faits empiriques en traitant les révolutions qui se sont réellement produites comme « non véritables » et « inauthentiques ». C'est une attitude qui, en elle-même, mérite le mépris le plus complet du point de vue du marxisme. Cf. par exemple, Karl KAUTSKY, Die Diktatur des Proletariats ; du même Terrorisme et communisme, Paris, J. POVOLOZKY, s.d. ; du même, la préface de Die Sozialisierung der Landwirtschaft (le socialisme de l'agriculture, Berlin, 1919), Une régression temporelle des forces productives qui augmente objectivement en dernière instance leur pouvoir s'est aussi produite dans les révolutions bourgeoises (Révolution française, guerre civile américaine, etc. Cf. BOUKHARINE, « La dictature du prolétariat russe et la révolution mondiale ». L'Internationale communiste, n° 4 et 5.

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