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Marcel Martinet

(1887-1944)

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Tu vas te battre ! (1914)
Souvenirs sur Trotsky (1934)


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Marcel Martinet est né le 22 août 1887 à Dijon, d'un père autodidacte et franc-maçon, commis puis préparateur de pharmacie, d'une mère directrice d'école primaire; il a passé son enfance et son adolescence à Dijon où il a fait ses études au lycée Carnot. Il a évoqué sa Bourgogne natale dans un beau roman, paru après sa mort en 1944, Le Solitaire. Interne au lycée Louis le Grand, il entre en 1907 à l'École Normale Supérieure ; à la rue d' Ulm, il écrit, fréquente des poètes. Il collabore à de petites revues littéraires comme L'Ile sonnante (où écrivent Francis Carco et Louis Pergaud), ou Les Horizons ; il se lie avec Vincent Muselli. Son premier recueil de poèmes, à l'inspiration intimiste, Le Jeune Homme et la vie, est publié en 1911. En même temps, Marcel Martinet s'intéresse aux problèmes sociaux. Il lit La Vie ouvrière, revue syndicaliste fondée par Pierre Monatte (un des représentants, dans la C. G. T., du syndicalisme révolutionnaire), et collabore à une petite revue littéraire engagée, L'Effort, puis L'Effort libre de Jean-Richard Bloch.

C'est dans L'Effort libre en 1913 que Marcel Martinet fait paraître un manifeste, " L'Art prolétarien ", où il annonce l'avènement d'un art du peuple. Marcel Martinet  renonce, à sa sortie de l'École Normale Supérieure, à " faire carrière " dans l'Université.

Après s'être marié, Marcel Martinet entre en 1911 sur titres, sans concours, à l'Hôtel de Ville où il occupe un modeste poste de " rédacteur " (son ami Louis Pergaud, le romancier de La Guerre des boutons, travaille aussi à la Préfecture de la Seine). Dans ces années d'immédiate avant-guerre, Marcel Martinet, socialiste, est plus un sympathisant qu'un militant du mouvement ouvrier. Pierre Monatte rapporte que c'est le moment où Marcel Martinet – à la recherche d'un socialisme différent du socialisme parlementaire ou du socialisme des professeurs – vient bavarder au local de La Vie ouvrière, quai Jemmapes.

Mais ce sont les premiers jours d'août 1914 qui rapprochent Marcel Martinet des syndicalistes de La Vie ouvrière, un Pierre Monatte, un Alfred Rosmer, et font de lui un militant. Aux premiers jours d'août 1914 en effet, alors que les dirigeants du Parti socialiste et de la C. G. T. se rallient à la politique d'union sacrée et de défense nationale, Marcel Martinet rejoint les membres du groupe de La Vie ouvrière qui n'ont pas encore été mobilisés (Marcel Martinet, quant à lui, est exempté du service militaire) et qui cherchent, dans le plus grand désarroi, à rassembler les rares militants restés fidèles à l'idée de paix et d'internationalisme prolétarien.

Cette première opposition syndicaliste et socialiste va bientôt se trouver en contact avec une opposition plus conséquente sur le plan idéologique, l'opposition des socialistes russes en exil. C'est ainsi que Marcel Martinet rencontrera un homme dont le destin historique sera exceptionnel, Trotski. Le révolutionnaire russe arrive à Paris en novembre 1914 et jusqu'à son expulsion de France en novembre 1916, il cherche à établir des liens avec les opposants français. Voilà le portrait que donne Trotski de Marcel Martinet, lors des années de guerre :

" Je connus Marcel Martinet avant tout en qualité de révolutionnaire, et plus tard seulement en qualité de poète. Aux réunions d'une poignée d'internationalistes, quai Jemmapes, dans le local de la Vie ouvrière d'alors, Marcel Martinet était peut-être bien le plus silencieux. Il prenait place à l'extrémité de la table, non point seulement, peut-être, par modestie, mais pour avoir un poste d'observation plus avantageux : l'artiste vivait en lui côte à côte avec le révolutionnaire, et l'un et l'autre savaient agir avec ensemble. Une magnifique barbe soyeuse semblait ne servir qu'à mien souligner la limpidité enfantine des yeux. L'air contemplatif de l'artiste se réchauffait de la flamme caché du rebelle. Sous la douceur du regard se devinaient la profondeur et la fidélité. Toute sa personne respirai la simplicité, l'intelligence, la noblesse d'âme. "

La grande date, le tournant pour le mouvement pacifiste et internationaliste français est la réunion en Suisse, à Zimmerwald, en septembre 1915, sur l'initiative des partis socialistes suisse et italien, d'une conférence internationale des " minorités ".

Marcel Martinet est aux côtés des zimmerwaldiens ; c'est lui qui informe Pierre Monatte mobilisé du compte rendu de la Conférence fait par la délégation française, le 7 novembre 1915. Il est du Comité pour la reprise des relations internationales, fondé en février 1916 à la suite de la Conférence, par des syndicalistes et des socialistes de gauche.

A cette date, Marcel Martinet participe aussi aux réunions mensuelles d'un groupe d'intellectuels, la Société d'études documentaires et critiques sur les origines de la guerre qui se réunit à l'initiative de Mathias Mohrardt et Georges Demartial, salle des Sociétés Savantes ; il fréquente avec sa femme le groupe des Femmes pacifistes de la rue Fondary.

Marcel Martinet est connu et surveillé comme pacifiste.

Il est en butte aux sanctions administratives, déplacé en février 1917 de la Direction de l'enseignement primaire à une autre Direction. On lui reprocha officiellement son activité contre la guerre, sa correspondance avec Michel Alexandre (" pacifiste des plus dangereux ") et de publier ses écrits sous son vrai nom.

Ses poèmes " les Temps maudits ", publiés en Suisse, interdits en France sont recopiés à la main et circulent clandestinement.

En 1918, Marcel Martinet, fit paraître un journal, La Plèbe, qui veut représenter l'union des éléments syndicalistes, libertaires et socialistes, demeurés fidèles à l'internationalisme. La Plèbe n'eut que quelques numéros qui parurent blanchis par la censure (dans le numéro du 1er mai 1918, par exemple, trois articles disparaissent entièrement) ; finalement la censure eut raison de ce journal révolutionnaire et indépendant, qui accueillit des articles de Romain Rolland à côté d'articles de militants.

Marcel Martinet est de ceux qui accueillent avec espoir la première Révolution russe et la saluent comme promesse d'un âge nouveau de paix et de fraternité.

Il participe avec Romain Rolland à un hommage à la révolution de février : le Salut à la Révolution russe, édité à Genève par la revue Demain en mai 1917.

Après la prise du pouvoir par les bolcheviks en octobre 1917, Marcel Martinet est de ceux, rares alors, qui prennent parti sans réserves pour la Révolution russe.

Marcel Martinet suit avec une attention passionnée les débuts de la Russie soviétique, à l'époque où celle-ci est mal connue, à l'époque où elle est menacé dans son existence même par l'intervention alliée et le blocus (fin 1918 à 1921) ; toutes les fois qu'il le peut il participe dans la presse ouvrière à l'effort d'information sur la Russie soviétique ; la lutte contre la campagne d'intoxication menée par la grande presse, apparaît en effet alors comme le premier devoir des révolutionnaires.

Marcel Martinet fait partie du Comité pour l'adhésion à la IIIème Internationale qui regroupe, en 1919-20, les militants socialistes et syndicalistes prêts à créer, au prix d'une scission des partis socialistes, de nouveaux partis adhérant à l'Internationale fondée par Lénine.

Après que s'est déroulé au sein du mouvraient socialiste le grand débat sur l'adhésion à la IIIème Internationale, Marcel Martinet adhère au nouveau parti communiste fondé à la fin de 1920 ;  il se situe à la gauche du parti, la plus proche des conceptions bolcheviks.

En 1921, Marcel Martinet, qui a toujours pris à cœur les lâches culturelles, se voit appeler par Amédée Dunois à la direction littéraire de L'Humanité.

Marcel Martinet anime les pages littéraires et artistiques avec quelques écrivains, critiques ou journalistes (le poète Georges Chennevière, le critique d'art Jacques Mesnil, le traducteur et écrivain Maurice Parijanine).

Marcel Martinet, outre qu'il assure régulièrement la critique dramatique, donne chaque semaine sous la rubrique " La Vie intellectuelle ", une substantielle revue de livres ; il y fait la preuve qu'on peut être à la fois un esprit libre et révolutionnaire.

En outre, dans son souci de susciter une littérature nouvelle, il accueille et encourage les écrivains issus du peuple, Henry Poulaille a raconté plus tard comment Marcel Martinet le poussa à écrire la vie d'une famille ouvrière avant la guerre (ce fut Le Pain quotidien) et comment il l'aida en publiant ses contes en feuilleton.

Préoccupé par le problème de l'éducation et de l'organisation culturelle de la classe ouvrière, il donne en 1921 une série d'articles (réunis en 1935, sous le titre Culture prolétarienne).

A partir de le fin 1922, Marcel Martinet subit les premières atteintes du mal qui le poursuivra cruellement toute sa vie, le diabète. Il continue à écrire dans L'Humanité, mais à partir de 1924, autant pour des raisons de santé que pour des raisons politiques, il renonce à y collaborer. 1924 est le début de le " bolchevisation " des partis  communistes sur le modèle du parti russe ; elle se traduit non seulement par l'élimination de la " droite "  proche de l'ancienne social-démocratie, mais par l'éloignement  progressif des éléments venus de la " Gauche " (en France de le gauche syndicaliste) qui critiquent  les méthodes imposées brutalement aux partis occidentaux.

Contraint à une demi-retraite, M. Martinet ne s'isole pas et continue à participer,  de loin, mais avec le même foi révolutionnaire, au combat politique ; il ne cesse pas d'écrire comme en témoignent  les nombreux poèmes (les plus connus d'entre eux, Chants du passager, paraissent en 1934 chez Corréa), les pièces de théâtre et les romans qu'il a laissés.

Durant cette période, Marcel Martinet exerce néanmoins les fonctions de directeur littéraire chez Rieder, la maison d'édition qui édite la revue Europe ; il y encourage la publication d'œuvres qui lui paraissent actuelles ou novatrices; il forme même le projet de lancer une collection d'histoire du mouvement ouvrier (le projet intéressa Gaston Gallimard). A la veille de la guerre, il donne des causeries à la radio sur les écrivains qu'il a connus, et qu'il veut faire connaître, Louis Pergaud, Eugène Dabit, Henry Poulaille, Charles Plisnier, Victor Serge.

Sur le plan politique, Marcel Martinet n'a pas besoin de rompre avec le parti communiste, et il n'en est pas davantage exclu ; la maladie l'en éloigne peu à peu ainsi que des divergences idéologiques. Il se rapproche dès le début de la petite équipe qui, autour de Pierre Monatte, d'Alfred Rosmer, de Maurice Chambellan, lance en janvier 1925 la revue La Révolution prolétarienne.

C'est auprès de ces syndicalistes que Marcel Martinet trouve sa vraie famille. La Révolution prolétarienne est un lieu ouvert où s'expriment des militants qui ne peuvent s'exprimer ailleurs, de militants " hérétiques ", des exclus ; son audience, de par les débats qu'elle suscite (la réunification syndicale, l'évolution du communisme international) dépasse celle de la petite équipe qui l'anime.

Marcel Martinet lutte pour un retour aux sources du communisme, défend Trotsky, dénonce le  stalinisme (Où va la Révolution Russe ? L'Affaire Victor Serge, paru à la Librairie du Travail en 1933), dénonce le colonialisme (Civilisation française en Indochine, 1936).

Au lendemain du 6 février 1934, André Breton se rendit chez Marcel Martinet et obtint sa signature pour un " Appel à la lutte " (10 février) qui est une des premières initiatives pour créer un front uni contre le fascisme.

Marcel Martinet est partisan d'un " front de classe " contre le fascisme et non d'un front de " défense républicaine ". Il dénonce la trahison de l'internationalisme prolétarien par Staline (après la fameuse déclaration de mai 1935 en faveur de la politique de défense nationale de la France).

De même qu'au lendemain de 1918, après le retour de Poincaré, il a affirmé qu'une guerre était de nouveau possible si l'opinion, l'opinion ouvrière surtout, la considérait comme inévitable, – de même en 1935, dénonce les menaces d'une nouvelle " union sacrée " contre l'Allemagne de Hitler.

Marcel Martinet dénonçait le fascisme et le régimes fascistes, mais il refusait, à propos de l'Allemagne surtout, de passer de la condamnation d'un régime à la nécessité d'une guerre. La politique d'alliance militaires et de pactes suivie par les gouvernement occidentaux et le gouvernement soviétique lui semblait aller à l'encontre des intérêts de la paix et du socialisme.

Bien que Marcel Martinet se soit interrogé, comme d'autres pacifistes de gauche de cette époque, sur la nécessité inhérente au régime hitlérien de faire la guerre pour survivre, il pense que c'est aux forces prolétariennes, dans les pays fascistes comme dans les " démocraties " de faire reculer la guerre.

Marcel Martinet a vécu la guerre, triste, désabusé, malade à Saumur où il s'était réfugié. Bien que seul avec ses pensées, il ne fut vraiment jamais abandonné et trouva à Saumur un groupe fervent, celui des " amis de l'École Émancipée ". Mais le désir de lutter physiquement et moralement l'avait abandonné et il s'éteignit le 18  février 1944, à 56 ans.


Notice biographique rédigée d'après la préface écrite par Nicole Racine pour "les Temps maudits" de M. Martinet, éd. 10-18, 1975.


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